Comment Carlitos est devenu Alcaraz : épisode 2, l’ascension la plus fulgurante de l’histoire du tennis
Tennis Majors poursuit sa série de six longs formats sur le phénomène Carlos Alcaraz, numéro un mondial après trois ans d’ascension éclair.
2/6 : Dans ce deuxième épisode de la série, mesurez combien Carlos Alcaraz a brûlé tous les temps de passage qui semblaient désormais en vigueur dans le tennis de haut niveau masculin. Il a fallu moins de trois ans au joueur espagnol pour passer du niveau Challenger à la victoire en Grand Chelem et à la première place à l’ATP.
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Roger Federer, tranquille chez lui, en Suisse. A la télévision, il assiste au sacre de Carlos Alcaraz à l’US Open. Federer a déjà pris sa décision d’arrêter le tennis, qu’il officialisera quatre tours plus tard.
S’il avait eu le moindre doute sur la pertinence de son choix, voir ainsi Alcaraz traverser le court à la vitesse du son et sortir son meilleur tennis dans les moments les plus importants apparaît alors comme un signe, un de plus, qu’il a peut-être fait son temps, comme il l’a confié récemment à la presse britannique en marge de la Laver Cup.
« Quand tu es blessé ou même en phase de reprise, et que tu vois ça, tu te dis : ‘Mais comment j’ai pu faire des choses pareilles dans le passé ? Comment ces mecs arrivent-ils à jouer au tennis de la sorte ?’ »
Federer aurait aimé inclure Alcaraz dans la Team Europe qui a disputé la Laver Cup dans la foulée de l’US Open, mais son entourage a poliment encouragé l’Espagnol à décliner pour ne pas trop tirer sur la corde. Le Federer numéro 1 mondial aurait probablement fait la même chose.
Aujourd’hui le Suisse est comme tout le monde : ce qu’Alcaraz a réalisé à New York l’a sidéré, et il y a de quoi, puisque l’Espagnol s’y est hissé au premier rang mondial avant l’âge de 20 ans, ce que personne n’avait fait avant lui. Entre son premier match sur le circuit ATP et cet accomplissement, pas plus de deux ans et demis se sont écoulés. C’est l’ascension la plus rapide de l’histoire du tennis masculin.
Les plus jeune numéros 1 mondiaux de l’histoire du tennis masculin
- Carlos Alcaraz : 19 ans, 4 mois, 7 jours – 2022
- Lleyton Hewitt : 20 ans, 8 mois, 23 jours – 2001
- Marat Safin : 20 ans, 9 mois, 24 jours – 2000
- Jonh McEnroe : 21 ans, 15 jours – 1980
- Andy Roddick : 21 ans, 2 mois, 4 jours – 2003
- Björn Borg : 21 ans, 2 mois, 17 jours – 1977
- Jim Courier : 21 ans, 5 mois, 24 jours – 1992
- Pete Sampras : 21 ans, 8 mois – 1993
- Jimmy Connors : 21 ans, 10 mois, 27 jours – 1974
- Rafael Nadal : 22 ans, 2 mois, 15 jours – 2008
Alcaraz, l’homme le plus rapide pour devenir numéro 1 mondial
La performance est d’autant plus remarquable qu’Alcaraz a été privé de tennis pro pendant cinq mois au cœur de l’année 2020 en raison des confinements.
Alcaraz est pourtant loin d’être le plus jeunes des vainqueurs de Grand Chelem. Il se situe même à peine dans le Top 10. Mais aucun de ceux qui l’ont précédé en gagnant un titre en tant que « teen » n’a su se hisser au sommet de la hiérarchie aussi vite que lui, en dégageant l’assurance que cela pouvait durer longtemps.
Le plus jeune vainqueur d’un titre du Grand Chelem, Michael Chang à Roland-Garros 1989, à 17 ans et trois mois, n’a jamais été numéro un mondial. Ceux qui le suivent sur la liste, Boris Becker, Mats Wilander, Björn Borg, Rafael Nadal ou Pete Sampras durent encore patienter avant de se hisser au sommet du classement ATP.
L’ascension qui se rapproche le plus de celle d’Alcaraz sur le papier est celle de Marat Safin, qui a joué trois ans entre ses premiers pas sur le circuit et son accession à la première place. Nadal a eu besoin de six ans. Federer lui-même, cinq ans et demi. Le Suisse était un quasi vétéran, à 22 ans, avec deux ans de circuit en plus, quand il s’est hissé sur le toit du tennis mondial en janvier 2004. Le troisième derrière Alcaraz et Safin est Andy Roddick, avec trois ans et demis de Tour dans les jambes.
La progression d’Alcaraz sur le papier dépasse l’entendement :
- Premier point ATP en avril 2019
- Entrée dans le Top 500 le 16 septembre de la même année
- Première victoire sur le grand circuit le 18 février 2020 à Rio
- Entrée dans le Top 100 le 24 mai 2021
- Premier titre ATP à Umag en juillet 2021
- Entrée dans le Top 50 le 13 septembre 2021
- Premier titre ATP 500 (et plus jeune à en gagner un) en février 2022, encore à Rio
- Premier Masters 1000 à Miami le mois suivant
- Entrée dans le Top 10 le 25 avril 2022
- Entrée dans le Top 5 le 25 juillet 2022
- Vainqueur en Grand Chelem et numéro un six semaines plus tard.
Comment tout cela a-t-il été possible ?
Février 2020, Rio de Janeiro : premier match sur le circuit ATP
Février 2020. Alcaraz a 16 ans et il vient de s’adjuger trois titres en Challenger quand il arrive à Rio. L’année d’avant, à 15 ans seulement, il avait battu Jannik Sinner en Challenger. Tout est prêt pour que l’ATP Tour comprenne qui il est.
Au premier tour, il affronte Albert Ramos-Viñolas,41e mondial, ancien numéro 20 et finaliste au Masters 1000 de Monte-Carlo en 2017. L’Espagnol est le premier à être envoyé aux premières loges et le premier à faire les frais de l’ado, 7-6, 4-6, 7-6.
« Je me souviendrai de ce match à Rio toute ma vie, réagit Alcaraz à chaud. Cette première victoire sur le circuit ATP a été le match le plus long que j’ai jamais fait. Les conditions étaient difficiles, mais les conditions n’ont aucune importance si vous avez la bonne attitude. » Alcaraz a scellé son succès à 3 heures du matin, après 3 heures et 37 minutes de jeu.
Dès le premier point, je me suis dit qu’il était très bon. Sa vitesse de balle était impressionnante.
Albert Ramo-Viñolas
Ramos-Viñolas se souvient notamment de l’aisance d’Alcaraz dans les moments chauds.
« Je me souviens, nous dit l’Espagnol avec le recul, m’être dit qu’il était très bon dès le premier point. La vitesse de la balle était impressionnante. » A part Juan Carlos Ferrero, son entraîneur depuis 2018, personne n’avait réellement conscience du potentiel du garçon. « Il était impossible de savoir que sa progression serait si rapide. Mais tout était déjà clair : la puissance, la mobilité, la vitesse, la détente, tout. »
« Ce qui est peut-être le plus impressionnant, c’est de voir que plus il est proche de la défaite, mieux il joue. Seul les grands champions ont ça. A mes yeux, il en est un. »
A ce jour, Alcaraz a gagné 30 sets décisifs, pour 14 perdus, sur le circuit, et quand il s’agit d’un tie-break, le score est de 8-0. Les stats d’un gagneur compulsif.
L’interruption du circuit en raison du covid a peut-être aidé Alcaraz
Alcaraz perd au tour suivant contre Federico Coria, 116e mondial, et se projette déjà sur Indian Wells et Miami. Mais le COVID-19 va donner un coup d’arrêt au monde (du tennis) pour cinq mois.
Avec le recul, il est un peu dingue d’imaginer quelle trajectoire Alcaraz aurait pu avoir s’il avait poursuivi sur sa lancée sans cette pause. Même s’il est aussi tentant de considérer que ces cinq mois ont été un bienfait qui lui a permis de travailler sur l’essentiel, dans l’ombre, jusqu’en août 2020.
Maintenant je suis plus fort et je suis capable de me maintenir à mon meilleur niveau sur une période plus longue.
Calors Alcaraz
Il termine l’année à la 138e place mondiale après avoir remporté à nouveau trois Challengers. L’ATP le désigne newcomer de l’année. Mais l’Espagnol n’a pas fini de suer. Dans un entretien à Tennis Majors, il raconte que sa préparation hivernale est axée sur la construction d’un physique enfin taillé pour le grand circuit.
« Nous avons travaillé très dur physiquement et je ressens une vraie évolution sur ce point. Maintenant je suis plus fort et je suis capable de me maintenir à mon meilleur niveau sur une période plus longue. Le service était aussi un secteur à faire progresser et nous y sommes arrivés. Nous avons travaillé sur chaque aspect du service : l’équilibre, mon lancer de balle, comment mieux contrôler la direction du service. C’est un coup que je vais continuer à travailler. »
Umag 2021 : premier titre
Ce travail est validé en Australie. Alcaraz passe les qualifications et un tour dans le tableau final à sa première apparition en Grand chelem. En mai, à Madrid, il se mesure à Rafael Nadal pour la première fois de sa carrière. S’il ne ramasse que trois jeux, il repart avec quelques conseils pour la suite : « Il m’a souhaité un bon anniversaire et m’a conseillé de continuer à travailler dur », relate Alcaraz le jour de ses 18 ans.
L’Espagnol passe alors pour un spécialiste de terre battue. Du moins si l’on ne se donne pas la peine d’observer son jeu de près. Un jeu polyvalent, où puissance brute et amortis inspirés cohabitent dans une volonté permanente de jouer vers l’avant. Son premier titre, l’ATP 250 d’Umag, intervient bien sur terre battue. Il domine Richard Gasquet en finale et achève le Français d’un ultime coup droit gagnant. « Probablement le premier titre d’une longue série », disent les commentateurs à la télévision. Euphémisme.
« Il joue de façon incroyable », témoigne Gasquet, dans la posture de l’arroseur arrosé, lui qui avait battu Roger Federer à Monte-Carlo au même âge qu’Alcaraz. « Mais je ne pouvais pas jouer avec cette intensité à cet âge. C’est un grand joueur. »
Alcaraz devient le plus jeune Espagnol à remporter un titre ATP depuis… Rafael Nadal à Sopot en 2004. Nadal remporterait Roland-Garros un an plus tard.
Talent, expérience et calme : l’apport de Ferrero
A l’évidence, Alcaraz et Juan Carlos Ferrero étant faits pour s’entendre, ce qui constitue une forme de surprise. Même au sommet de son art en 2003, rien ne laissait entendre que Ferrero était programmé pour devenir un grand entraîneur.
Alcaraz profite de l’aura de son coach. En juillet 2021, il s’entraîne à Wimbledon avec son idole Roger Federer. En marge de la Laver Cup 2022, Federer révèle qu’il aurait bien tapé plusieurs fois avec le jeune joueur d’El Palmar. « Je trouvais qu’il jouait vraiment bien, c’est souvent plus pratique de continuer avec les mêmes sparrings, et j’adore Ferrero, donc ça tombait bien. »
Mais le Suisse a mal retenu son prénom et se retrouve à demander à jouer avec « Juan Carlos ». Ferrero se pointe pour servir de sparring. Pas grave. « Il avait encore le niveau pour jouer sur le circuit », rigole Federer.
US Open 2021 : Alcaraz se revèle aux yeux du monde
Il manque quand même à Alcaraz une perf référence en Grand Chelem. L’US Open 2021 va lui en donner l’occasion. Il bat Cameron Norrie au premier tour mais Alcaraz montre surtout au monde entier qui il est au tour suivant en dominant Stefanos Tsitsipas en cinq sets.
« Il s’est donné au cinquième set comme il se donnait au premier : à fond, sans crainte, sur chaque coup. Je pense bien n’avoir jamais eu d’adversaire aussi bon dans un cinquième set », affirme Tsitsipas.
Alcaraz s’arrêtera en quart de finale, après un abandon à 6-3, 3-1 contre Félix Auger-Aliassime. Le corps n’est pas encore prêt à encaisser une telle charge dans l’été new-yorkais. Cela finira par changer.
L’expérience de toute une arène contre lui à Bercy, puis le titre au Masters NextGen dans la foulée
L’Espagnol n’est pas une machine insubmersible. On le voit se noyer sur un court pour la première fois au Rolex Paris Masters fin 2021. Il perd 20 des 21 derniers points de son huitième de finale face à Hugo Gaston (6-4, 7-5 après avoir mené 5-0). L’ex-Palais de Paris-Bercy fait peser sur lui une pression digne de la Coupe Davis d’antan. « Savoir que j’ai craqué sous la pression me fait mal, réagit-il. Le plus important est de retenir la leçon. »
Il remporte cependant le Masters NextGen à Milan avec une totale autorité. Comme Stefanos Tsitsipas et Jannik Sinner avant lui. Le boost de confiance est puissant. Après avoir pris la mesure des gens de sa génération, ça va être le tour des joueurs confirmés en 2022.
Rio 2022 : deuxième titre ATP
Rio lui offre à nouveau des souvenir pour la vie puisqu’il y remporte le premier ATP 500 de sa carrière en dominant Diego Shwartzman en finale. A Indian Wells, il pousse un Nadal alors invaincu en 2022 au troisième set, donnant la nette impression qu’il appartient désormais à l’élite. Il le prouve au tournoi suivant en remportant le Masters 1000 de Miami en battant Stefanos Tsitsipas et Casper Ruud.
Nadal et Djokovic battus coup sur coup : le chef-d’œuvre de Madrid
Sa victoire à Barcelone, dans la foulée (avec une nouvelle démonstration contre Tsitsipas) semble presque logique dans ce contexte. Son œuvre au Masters 1000 de Madrid, juste après, repousse encore les limites de sa progression.
Il bat coup sur coup Nadal et Djokovic au terme de combats énormes avant de punir Zverev en finale. L’Allemand le désigne « meilleur joueur du monde du moment ». Alcaraz marque son accord d’une phrase sans filet : « Je me sens prêt à remporter un tournoi du Grand Chelem. »
Parmi les favoris de Roland-Garros
Aussi fou que celui puisse paraître, Alcaraz fait figure de favori à Roland-Garros, au moins sur la même ligne que Nadal et Djokovic présents dans sa moitié de tableau. Sous pression, il sauve une balle de match au deuxième tout contre Ramos-Viñolas et chute en quart de finale contre Zverev. Mais il confirme : « Je suis proche d’une demi-finale et d’une victoire en Grand Chelem. J’ai juste à apprendre de ce type de match. J’ai le niveau. J’ai la confiance pour gagner un majeur. »
Ce ne sera pas à Wimbledon, sur une surface, le gazon, qu’il connaît très peu. Sinner l’élimine en huitième de finale et Alcaraz donne finalement l’impression qu’il a pu sous-estimer la spécificité des tournois du Grand Chelem. Même si Nadal est douteux à cause d’une blessure à l’abdomen contractée à Wimbledon, même si Djokovic n’est pas admis en territoire américain, Carlitos n’est pas réellement sur la liste des favoris pour l’US Open, où trônent Daniil Medvedev et Nick Kyrgios.
US Open 2022 : Alcaraz sur le toit du monde
A coup de matches en cinq sets et en night session face à Marin Cilic, Jannik Sinner et Frances Tiafoe, Alcaraz impressionne son monde, jusqu’en Suisse où Federer n’en rate pas grand-chose. L’incroyable voyage d’Alcaraz vers le très haut niveau s’achève en finale où, malgré l’épuisement, visible au troisième set, l’Espagnol gagne logiquement contre Casper Ruud.
Dans cette finale, Alcaraz joue comme si chaque point était une balle de match, ne cède jamais à l’abattement même s’il passe à deux doigts d’être mené deux sets à un alors qu’il joue sur la réserve, et finit toujours pas imposer sa vitesse, son énergie, sa soif de victoire.
Depuis le tout début, je sais qu’il a quelque chose de différent.
Juan Carlos Ferrero
« Depuis le tout début, je sais qu’il possède quelque chose de différent, affirme son coach Juan Carlos Ferrero. Il est né pour ces moments-là, ces gros matches. Il me le montre sur le court en permanence. Dans les moments importants, il jouera toujours sa chance. C’est le plus dur dans le tennis. C’est un compétiteur immense. Il n’abandonne jamais. Il est toujours là pour son adversaire. »
« La façon dont Alcaraz a gagné l’US Open est incroyable, dira Djokovic en marge de la Laver Cup dix jours plus tard. C’est hallucinant d’être numéro1 et de gagner l’US Open à 19 ans. Pour le tennis, il est un atout majeur, un vraie star en devenir. Il est déjà un champion accompli, ça ne sert plus à rien de parler de lui au futur. »
“Champion” : un mot qui était, déjà, venu spontanément à Ramos-Viñolas lors du premier match d’Alcaraz sur le circuit principal.