Cervara : “Être entre Novak et la génération Alcaraz, ça doit être un moteur pour Daniil”
Gilles Cervara jette un pont entre l’excellente saison 2023 de Daniil Medvedev et une saison 2024 où les deux hommes entendent renouer avec la victoire en Grand Chelem
Gilles, avant de parler de la saison 2024, parlons de 2023. Quel bilan dresses-tu de la saison passée de Daniil Medvedev ?
C’était une belle saison. J’en retiens cette période de Rotterdam, Doha, Dubaï, Indian Wells, Miami qui était vraiment riche et surtout, sans employer le mot « inespéré », elle venait de loin si on se souvient du début de saison 2023 et de l’Open d’Australie (NDLR, 3e tour contre Sebastian Korda). Avec Daniil et Eric (Hernandez, préparateur physique), on se disait que ce serait bien de faire un bon résultat pendant l’un des cinq tournois. Et là, il les gagne tous sauf Indian Wells, où il fait finale. Quasiment cinq sur cinq pendant le “Coast to coast”, c’était exceptionnel et ça a donné une base, une dimension à la saison. Il y a eu ensuite de bons résultats et quelques autres trophées (66 victoires et 18 défaites, 5 titres, 4 finales dont une à l’US Open, demi-finale à Wimbledon). Une belle saison, terminée à la 3e place mondiale. On souhaite faire aussi bien, voire mieux, en 2024.
Tu nous avais raconté que la façon dont Daniil était passé d’un énorme niveau de doute à un énorme niveau de confiance en deux, trois matches à Rotterdam, était difficile à comprendre. Avec le recul, as-tu clarifié ce qui lui permet d’évoluer si vite d’un état mental à l’autre ?
C’est toujours difficile à dire, mais posons les choses comme ça : Daniil est quelqu’un qui a une très, très forte envie de gagner, dont le niveau d’attente envers lui-même est très, très haut, ce qui le conduit à chercher des solutions en permanence. A un moment donné, à l’intérieur de lui-même, un processus se met en place, qui s’aligne et qui crée une fluidité dans cet état de confiance-là. Quand il y est, il s’y accroche, il s’enflamme et ça se bonifie. Après 2022, qui était en-deça de ses attentes, il s’est remis sur l’autoroute avec des bons résultats en Grand Chelem, deux victoires en Masters 1000 et des trophées en 500. Le next step, c’est de pouvoir regagner un Grand Chelem, après l’US Open 2021.
Maintenant en fin d’année, que ce soit en finale à l’US Open, à Vienne, à Pékin ou même la demi finale à Turin, contre ce genre d’adversaire-là (Djokovic et Sinner, ndlr), dans ce genre de match, il faut être capable de réussir la dernière ascension. Quand tu joues les premiers rôles, tout ce que tu veux, c’est gagner les plus grands tournois, c’est-à-dire les Grands Chelems. L’objectif est clair et il va de soi.
Daniil a 27 ans. Sans être âgé, il n’est plus membre d’une NextGen qui aurait tout à conquérir, comme entre 2019 et 2021 par exemple. Comment appréhendes-tu ce changement de statut et sais-tu s’il a un profil de +35 performant, comme Novak ?
Ça personne ne peut le savoir, même lui aujourd’hui. Même s’il l’affirmait, ça aurait juste une valeur déclarative sur le moment, car la vie fait évoluer les gens. Mais effectivement sur le plan de l’expérience et du physique, il entre dans un troisième quart de carrière, avec un statut à défendre. Dans sa génération, il est le plus avancé. Les autres poussent derrière : Alcaraz et Sinner bien sûr mais aussi des joueurs comme Fils ou Shelton qui, je pense, vont enquiquiner les meilleurs rapidement.
Va-t-il commencer à, peut-être, moins jouer et davantage choisir ses tournois, comme semble le dire votre choix de ne pas jouer avant l’Open d’Australie et d’arriver directement à Melbourne pour jouer un Gran Chelem ?
Oui c’est un choix qui a été fait à la fois pour bien gérer le nombre de matches joués dans l’année afin d’être le plus performant possible pendant les grands tournois, et aussi pour avoir un peu plus de temps à la maison et une vraie coupure. Dans le passé, il n’en avait quasiment pas.
Daniil est-il proche ou encore assez éloigné de son potentiel maximal ?
On s’en approche évidemment mais il y a encore à mes yeux une bonne marge de progression. Tout la réflexion consiste à rendre ce potentiel atteignable pour aller encore plus loin et gagner d’autres Grands Chelems. Si on parle de sa progression tennistique, on ne peut pas la distinguer de mon point de vue d’une progression “mentale”. Je n’aime pas ce mot, alors disons qu’un joueur comme lui peut avoir une certaine vision de son jeu, certaines croyances à propos de son jeu. Pour être capable de faire de nouvelles choses, il faut oser rater au début avant de tirer le bénéfice de nouvelles options de jeu, nécessaires pour répondre aux challenges que lui proposent ses plus grands adversaires.
Pour être capable de faire de nouvelles choses, il faut oser rater au début avant de tirer le bénéfice de nouvelles options de jeu, nécessaires pour répondre aux challenges que lui proposent ses plus grands adversaires.
Gilles Cervara sur Daniil Medvedev
Y a-t-il des regrets malgré tout sur certains moments de cette saison ?
Quand tu vois comment se déroule la finale de l’US Open, j’aurais juste eu envie que Daniil gagne le deuxième set. Je ne sais pas ce qui se serait passé derrière. Mais vu l’intensité de la bataille à ce moment-là, c’est vrai que si je devais revenir en arrière, changer un point en touchant l’écran, ce serait pour voir Daniil gagner ce set.
On a senti en 2023, notamment à Wimbledon, quand il a atteint les demi-finales, sa première en Grand Chelem depuis l’Open d’Australie 2022, qu’il voulait en quelque sorte remettre les pendules à l’heure.
Je ne raisonne pas en ces termes-là, et je crois que Daniil non plus. Même s’il apprécie de prouver qu’il est un l’un des meilleurs joueurs du monde. Effectivement, nous sommes aujourd’hui en dehors des questions qu’on pouvait se poser à l’issue de la saison 2022 ou même après l’Open d’Australie 2023. La saison qui s’ouvre est pleine de questionnements : Sinner va-t-il intégrer le groupe des potentiels vainqueurs de Grand Chelem ? Alcaraz va-t-il continuer sa progression ? Novak Djokovic va-t-il arrêter de tout gagner et, en même temps pourquoi arrêterait-il ? Daniil est entre cette génération et Novak mais on ne se met pas de pression de dingue à ce sujet. Ça doit plus être un moteur que quelque chose qui le retient.
Daniil est devenu père, fin de 2022. On l’a vu voyager avec sa fille. Est-ce un paramètre qui a changé quelque chose dans sa vie de joueur de tennis ?
Bizarrement, je ne peux pas trop répondre à cette question. Cela tient à des raisons de fonctionnement entre nous, où l’on sépare assez la vie privée et la vie professionnelle. J’ai perçu chez Daniil, en tant que personne, un côté affectif, ludique, que je n’avais pas décelé jusque là mais qui est évident quand il est avec sa fille. Pour le reste, il met à mes yeux la même application et la même attention dans son travail.
Daniil et toi avez l’habitude de discuter, chaque fin d’année, de votre volonté mutuelle de continuer ensemble…
Oui, nous avons eu cette discussion au lendemain de la finale de l’US Open, à ma demande. On a acté quelques ajustements, notamment que je ferai moins de semaines en tournoi avec lui, s‘il continue d’obtenir de bons résultats. On se concentrera sur les très gros tournois, les Grands Chelems et les Masters 1000. Il m’est arrivé de faire 47 semaines en un an, cela fait sept ans que l’on fonctionne de cette façon. Ce détail-là va probablement évoluer dans notre fonctionnement.