Burn-out en série à l’US Open : le tennis rend-il malheureux ?
Le déplaisir voire la dépression ont été le thème central de différentes conférences de presse depuis le début de l’US Open. Le tennis, particulièrement de haut niveau, a-t-il vraiment le don de rendre malheureux ?
Si vous ne la connaissez pas encore, on vous suggère de découvrir Diana Shnaider, qui nous a accordé une interview exclusive à New York au début de cet US Open. La jeune gauchère russe, au tennis aussi punchy que ses bandanas sont colorés, n’a que 20 ans mais elle a déjà compris une chose essentielle : “le plus important, c’est de conserver de la fraîcheur mentale aussi longtemps que possible, et de toujours garder une attitude positive envers mon sport”, répond-elle alors qu’on lui demande quels sont ses objectifs à long terme.
Garder une attitude positive vis-à-vis du tennis, ça ne coule pas de source à en lire différentes conférences de presse qui ont eu lieu depuis le début de cet US Open. De par sa position tardive dans la saison et ses conditions souvent extrêmes, le Grand Chelem new-yorkais est souvent celui où les joueurs et les joueuses affichent les fêlures les plus béantes, que ce soit sur le plan physique ou sur le plan mental. C’est particulièrement vrai en cette année olympique qui a d’autant plus corsé un calendrier déjà éreintant par nature.
Il y a eu bien sûr ces mots très forts de Stefanos Tsitsipas, qui n’a pas hésité à lâché le mot “burn-out” en constatant que le joueur qu’il est aujourd’hui n’a “plus rien à voir” avec celui qu’il était à ses débuts, animé par une fureur de vaincre permanente. Des propos qui rejoignent ceux de Caroline Garcia. La numéro 1 française, elle aussi battue d’entrée à New York, a également reconnu se trouver dans un état de semi-dépression sportive que tout le monde avait acté depuis longtemps, notamment depuis qu’on l’avait vue arborer en conférence de presse un drôle de détachement, apparent du moins, au sortir d’une défaite au 2ème tour de Roland-Garros, à un moment où on s’attendait plutôt la voir en train de tout casser. C’était plus inquiétant qu’autre chose.
Dans ces conditions, on peut toujours parler de tennis. On peut toujours conseiller à Tsitsipas d’améliorer son revers slicé ou à Garcia de diversifier son plan de jeu, comme à Ugo Humbert, lui aussi en proie à un vrai coup de blues depuis l’été, d’arrondir un peu plus ses frappes. Mais ces considérations techniques ne sont rien, au fond, à côté de la source réelle du problème : la disparition du simple plaisir de jouer. Carlos Rodriguez, l’ancien entraîneur belge de Justine Henin, avait coutume de dire : “Au tennis, tout part de la pensée. Si vous pensez bien, la technique suivra.” Sinon, elle ne fait que péricliter. Et après, cela devient de la survie plus qu’autre chose.
Pour jouer au plus haut niveau au tennis, quand tu es dans un état dépressif, même léger, c’est un sacré handicap
Christophe Bernelle, dans L’Equipe.
Il n’est pas nouveau que le tennis est un sport qui rend fou. Parce qu’il est horriblement compliqué, concurrentiel, parce qu’on est seul, entre quatre lignes, soumis aux jugements du monde entier. Le jugement des autres, parlons-en… Un éternel problème qui a pris des proportions incontrôlables depuis la (dé)régulation ces dernières années des paris sportifs, concomitante à la prise de pouvoir des réseaux sociaux. Une véritable bombe à retardement : la rencontre d’une activité dangereuse à celle de la bassesse humaine sous toutes ses formes ne pouvait être qu’explosive. Et aujourd’hui, plus un tournoi ne passe sans qu’un joueur ou une joueuse professionnelle ne déterre des tonnes de messages haineux, voire menaçants, reçus après chaque défaite, comme l’a également fait Caroline Garcia.
C’est aussi sur ce thème qu’a tenu à réagir Holger Rune ce jeudi sur son compte twitter. Balayé par Brandon Nakashima dès le premier tour de cet US Open, le jeune Danois, qui n’a jamais pleinement retrouvé la flamme et le niveau de jeu qui l’habitaient lors de son extraordinaire éclosion à la fin de la saison 2022, est traditionnellement l’une des cibles préférentielles des observateurs de canapé. Il n’y a qu’à, là encore, s’égarer quelques minutes dans les méandres des réseaux sociaux pour lire le plus souvent des analyses du type “talent gâché”, “enfant capricieux” ou “joueur surcoté”, pour n’en sortir que le résumé.
“Quand les médias, les soi-disant experts ou n’importe quel observateur lambda me traitent comme une merde, bizarrement, je prends ça pour un compliment”, écrit l’ancien vainqueur du Rolex Paris Masters. “Cela veut dire qu’ils attendent plus de moi, et plus vite (…) Mais l’échec fait partie du chemin vers le succès et, parfois, une plongée dans l’obscurité est nécessaire pour profiter de la lumière du jour.”
C’est joliment dit, joliment pensé, mais le simple fait de prendre longuement la parole là-dessus prouve à quel point Rune est, justement, sensible au regard que l’on porte à son sujet. Ce n’est pas anormal, surtout pour un jeune homme de 21 ans. Mais tous les préparateurs mentaux le disent : l’étanchéité au jugement d’autrui est l’une des conditions premières à la performance.
C’est sans doute la raison pour laquelle les plus grands champions font rarement l’étalage de ce qui se dit sur eux, ou considèrent rarement les médias comme responsables de tous leurs maux. Certes, ils perdent moins que les autres mais doivent tout autant charrier leur lot de critiques, insultes et autres jugements permanents à l’emporte-pièce. Leur capacité à s’en détacher est probablement une force énorme, mais c’est aussi un travail. Coco Gauff, par exemple, reconnaît qu’il lui est arrivé de passer une demi-heure à bloquer des gens sur les réseaux sociaux, juste pour dégager son horizon de ce tas d’immondices virtuel.
D’où l’importance aussi de trouver le plus tôt possible la personne adéquate pour travailler sur le plan mental, comme le souligne ce jeudi dans l’Equipe Christophe Bernelle en évoquant le cas de Carlos Alcaraz, dont le sourire et le bonheur de jouer sont rarement pris à défaut : ‘Parce que Juan Carlos Ferrero (son coach) sait que c’est hyper important. C’est une vie complètement à part”, explique l’ancien joueur français devenu psychiatre et préparateur mental. “C’est important pour la santé mentale et l’équilibre d’avoir une personne référente (…). Pour jouer au plus haut niveau au tennis, quand tu es dans un état dépressif, même léger, c’est un sacré handicap.”
Alcaraz est un parfait exemple pour montrer à quel point le plaisir est le carburant principal de la performance, loin devant le talent pur ou les qualités athlétiques, lesquelles ne font finalement que venir avec. Dans l’un des rares moments de creux qu’il avait traversés l’an dernier durant sa jeune carrière, l’Espagnol expliquait d’ailleurs de la sorte sa (relative) chute de résultat : il avait perdu son sourire. Il l’a depuis largement retrouvé, prouvant surtout que le tennis n’est finalement pas en soi la cause principale d’un état dépressif, mais plutôt le révélateur de fragilités intrinsèques. Son univers peut alors en effet très vite devenir impitoyable.