Une chance sur 10 de perdre le match : Le danger inattendu de gagner le premier set 6-0
Alex de Minaur a remporté son match du premier tour à Cincinnati lundi, après avoir pourtant perdu le premier set 6-0 contre Filip Krajinovic. Après avoir replongé dans les archives, Tennis Majors vous montre que ce n’est pas si rare.
Remporter un set 6-0, il n’y a pas mieux pour un joueur de tennis. C’est le signe d’une supériorité nette sur son adversaire. Mais paradoxalement, ce n’est pas la fin du monde. Et souvent, ce n’est même pas la fin du match.
Filip Krajinovic en a fait l’amère expérience de lundi, quand il a infligé une roue de bicyclette à Alex de Minaur dans la première manche de leur duel du premier tour au Masters 1000 de Cincinnati, avant de finalement s’incliner en trois sets (0-6, 6-4, 6-4).
Quand un 6-0 se produit dans le premier set, la tendance est de penser qu’une deuxième manche aussi facile s’annonce. Mais statistiquement, ce n’est pas toujours. La beauté du système de score du tennis et la nature unique de ce sport, où l’aspect mental du jeu est aussi crucial, font qu’un premier set empoché 6-0 peut être un cadeau empoisonné. Celui qui l’a remporté ressent un sentiment de fausse tranquillité qui peut le rattraper et celui qui l’a perdu se dit qu’il n’a plus rien à perdre.
Avec l’aide de l’ATP, de la WTA et de l’ITF, Tennis Majors a examiné les résultats des quatre tournois du Grand Chelem, et des circuits ATP et WTA sur les cinq dernières années, pour constater combien de fois des joueuses ou des joueurs avaient gagné le premier set avant de perdre le deuxième, voire le match. Et ça se produit plus souvent que vous ne pourriez l’imaginer.
Revenir un 0-6 pour gagner, ça arrive 9% du temps en Grand Chelem
Vous pourriez penser qu’en Grand Chelem, avec l’appât d’un prize-money important et le prestige de la compétition, signifierait que gagner le premier set 6-0 avant de s’incliner n’arrive jamais. Mais si, et parfois aux meilleurs.
Demandez simplement à Rafael Nadal, qui avait perdu le premier set 6-0 contre Dominic Thiem en quart de finale de l’US Open 2018, avant de revenir pour s’imposer au tie-break du cinquième. Ou Naomi Osaka, qui avait cédé la première manche 6-0 face à Karolina Schmiedlova à Roland-Garros en 2019 et avait ensuite renversé la Tchèque. Ou l’ancienne numéro 1 mondiale Caroline Wozniacki, qui avait empoché le premier set 6-0 à Paris la même année, contre Veronika Kudermetova, mais avait été sortie en trois manches.
D’un autre côté, les hommes évoluant au meilleur des cinq sets, certainement que la victime du 6-0 a plus de temps pour se relever de la stupeur de la première manche.
Sur les 22 tournois du Grand Chelem disputés entre début 2016 et Wimbledon 2021, 176 fois le premier set s’est terminé sur le score de 6-0. Et en 16 occasions, le vainqueur de cette manche a finalement perdu le match, soit 9%. Avec un ratio supérieur chez les hommes que les chez femmes, certainement du au format différent.
Après avoir perdu le premier set 6-0 en Grand Chelem (de 2016 à 2021) :
- Bilan chez les hommes : 6-46 (11,5%)
- Bilan chez les femmes : 10-114 (8%)
Quand un joueur a complètement dominé son adversaire, parce qu’il était brillant et/ou son adversaire dans le dur, pour gagner le premier set 6-0, il peut être compliqué de garder ce momentum. Au haut niveau, la différence entre deux joueurs, sur le papier, est souvent relativement faible. Donc le niveau du joueur qui mène au score n’a qu’à baisser légèrement pour que les choses tournent rapidement
Même quand le joueur devant au score parvient à gagner le match, ce n’est pas inhabituel pour l’adversaire de répondre, soit en haussant son niveau de performance, soit en profitant d’une baisse de régime de l’autre côté du file.
En Grand Chelem ces cinq dernières années, c’est commun de gagner le premier set 6-0 et de perdre le deuxième. En tout, cela s’est produit 38 fois en 176 matchs, ce qui fait 21,6%. Soit plus d’une rencontre sur cinq.
En Grand Chelem, après avoir gagné le premier set 6-0, un joueur perd le deuxième :
- Hommes : 13-39 (25 percent)
- Femmes : 25-99 (20.2 percent)
C’est encore plus fréquent sur le circuit régulier
Sur les circuits ATP et WTA, où les matchs sont toujours joués au meilleur des trois manches, cela a tendance à arriver encore plus souvent.
Depuis le début de la saison 2016, et à date du 17 août 2021 :
Sur le circuit ATP (hors Grand Chelem, Coupe Davis)
- Un joueur perd le match après avoir gagné le premier set 6-0 : 20 en 196 matchs (10,2%)
- Un joueur perd le deuxième set après avoir gagné le premier 6-0 : 50 en 196 matchs (25,5%)
Sur le circuit WTA (hors Grand Chelem, Billie Jean King Cup)
- Une joueuse perd le match après avoir gagné le premier set 6-0 : 48 en 462 matchs (10,4%)
- Une joueuse perd le deuxième set après avoir gagné le premier 6-0 : 107 en 462 matchs (23,2%)
Shapovalov : “Le momentum, c’est vraiment bizarre”
Comment est-ce possible ? Pour dire les choses simplement, c’est parce que les joueuses et les joueurs ne sont pas des robots. Chaque match est une bataille mentale, même si vous gagnez le premier set 6-0. C’est une situation que Denis Shapovalov ne connait que trop bien, ayant gagné le premier set 6-0 contre Benoît Paire à Wimbledon 2018, pour finir par s’incliner en quatre sets.
“Je pense que c’est juste difficile de garder ce momentum, explique le Canadien, qui retrouvera Paire mardi au deuxième tour du Masters 1000 de Cincinnati. Evidemment, si vous gagnez 6-0, c’est que tout va bien. Donc le momentum, c’est vraiment bizarre. L’adversaire peut gagner un ou deux jeux et juste faire tourner le match. C’est parfois piégeux de gagner le premier set si facilement. Parce que vous jouez et vous savez que vous ne pouvez que faire pire. Eux n’ont plus rien à perdre. Si vous débutez bien le début de deuxième set et que tout continue à rouler, c’est super. Mais souvent, les matchs basculent.”
Certaines ont fait une spécialité de revenir d’un premier set perd 6-0 pour finir par s’imposer. Aryna Sabalenka, la numéro 3 mondiale, l’a réalisé trois fois, la dernière à Miami cette année, où elle avait dominé Tsvetana Pironkova dans le tie-break de la troisième manche. Sa compatriote biélorusse, Aliaksanda Sasnovich, y est parvenue à six reprises : trois sur le circuit WTA, une en Fed Cup et deux sur le circuit ITF.
Mais si gagner en revenant d’un 6-0 doit être éminemment savoureux, perdre dans ces conditions est un crève-coeur. Krajinovic, à qui c’était déjà arrivé sur un tournoi Challenger en 2015 contre Marcel Ilhan, ne dira pas le contraire. Et il n’est pas le seul.