Arrêtons de parler de lui au futur : Alcaraz est membre du Big Three de 2022
En décrochant dimanche son premier Masters 1000 à 18 ans, point d’orgue d’un début de saison fracassant, Carlos Alcaraz est passé du statut d’immense espoir à celui de cador du circuit. Il s’annonce, d’ores et déjà, comme l’un des favoris de Roland-Garros.
A ceux qui aiment consigner la légende du sport, on ne saurait trop conseiller de cocher quelque part la date du 3 avril 2022, à la manière d’un marque-page glissé dans le grand livre d’histoire du tennis. C’est le jour où Carlos Alcaraz a définitivement éclos dans le monde des géants en remportant à Miami son premier Masters 1000, au terme d’une finale maîtrisée en “vieux briscard” face à Casper Ruud, devant ainsi, à 18 ans et 11 mois, le plus jeune vainqueur de l’épreuve floridienne, et le troisième plus jeune vainqueur d’un tournoi de cette catégorie.
Oh, bien sûr, pas grand-monde n’avait pas attendu le 3 avril 2022 pour découvrir le potentiel immense du garçon, qui crève les yeux depuis au moins un an, à minima depuis qu’il a remporté l’an dernier à 18 ans son premier titre sur le circuit (à Umag), avant de devenir le plus jeune quart de finaliste de l’histoire de l’US Open. Et les suiveurs les plus chevronnés du circuit Challenger voire Future l’ont même découvert depuis bien plus longtemps que ça.
Mais dans le processus d’éclosion d’un grand champion, il y a quand même souvent une date, une victoire un peu plus marquante ou symbolique que les autres. Et celle-ci en a tout l’air. Si le Big Three, en concentrant la majorité de ses efforts sur les Grands Chelems, a laissé la porte ouverte à de nombreux “primo” vainqueurs en Masters 1000 ces dernières années, ce sacre d’Alcaraz, contrairement à d’autres, ressemble beaucoup moins à un aboutissement qu’à une éclosion.
Il suffit simplement, pour s’en convaincre, de voir les frémissements du public qui l’ont accompagné. Il suffit d’apprendre que le roi d’Espagne en personne l’a appelé après la finale. Depuis les trois monstres, depuis peut-être Richard Gasquet à notre échelle nationale, on n’avait jamais vu un aussi jeune joueur susciter autant l’excitation.
Peut-être parce que, aussi, il y a ce bégaiement presque insensé de l’histoire. Le parallèle est criant entre ce sacre d’Alcaraz et la finale atteinte par un autre Espagnol au même âge, et au même endroit, en 2005. A l’époque, Rafael Nadal, puisque c’est évidemment lui, avait perdu cette finale en cinq sets contre Roger Federer – après avoir mené deux sets à rien. Mais dans la foulée, il avait définitivement explosé sur terre battue, raflant tout sur son passage avant de décrocher le premier de ses treize titres à Roland Garros.
Impossible de ne pas y songer, forcément. L’histoire est trop insistante dans les signaux qu’elle nous envoie : ce lundi, le jeune Alcaraz se retrouve deuxième à la Race derrière Rafael Nadal, qui a quasiment deux fois son âge et dont il a sérieusement entamé le capital physique (côte fêlée) au terme de leur farouche empoignade en demi-finale d’Indian Wells, remportée de justesse par l’aîné.
Bilan : quatre à six semaines d’arrêt pour Nadal qui, d’après les dernières informations, ne reprendra pas avant Madrid, début mai. Voilà qui laisse le champ libre à Alcaraz pour le début de saison sur terre battue et pour percer la barre du top 10 avec laquelle il flirte désormais (11e). Il fait assez peu de doute, vu ce qu’il montre depuis le début de la saison, qu’il va rapidement le faire.
Son niveau actuel n’est pas celui d’un top 10 : il est celui d’un top 3, et même tout simplement celui du meilleur joueur du monde en l’absence, bien sûr, de Rafael Nadal et Novak Djokovic (ainsi que Daniil Medvedev, lui aussi sur la touche pour quelques semaines) dont on a hâte, vraiment, de voir par quel bout ils s’attaqueront au roc Alcaraz. Là où, pour ainsi dire, tous les autres se sont cassés les dents ces dernières semaines.
Quand il avait 16-17 ans, il avait déjà cette capacité à adapter son jeu au niveau des autres. C’est bien le signe qu’il avait quelque chose…
Juan Carlos Ferrero, entraîneur de Carlos Alcaraz
Alcaraz en 2022 : 18 victoires, 2 défaites
Depuis le début de l’année, Alcaraz, c’est 18 victoires pour seulement deux défaites. Et il est amusant de noter que les deux seuls joueurs qui l’ont battu ont fini à l’hôpital, Matteo Berrettini à l’Open d’Australie (opération de la main) et Rafael Nadal, donc, à Indian Wells. Au passage, il était devenu, en février, le plus jeune joueur à remporter un ATP 500, à Rio de Janeiro (sur terre battue). C’était fort, déjà. Ça n’avait juste pas la même puissance symbolique de ce titre à Miami.
Débarqué in extremis (et par surprise) à Miami pour la finale, après avoir malheureusement enterré son père en Espagne, Juan Carlos Ferrero, l’ancien numéro un mondial et entraîneur de la pépite, n’était pas surpris plus que ça par les progrès de son poulain, qu’il couve plus particulièrement depuis 2019 au sein de son académie située à Villena.
“Je connais son potentiel depuis longtemps, soulignait celui qui, rappelons-le, a refusé l’an dernier une proposition de Stefanos Tsitsipas. Déjà, quand il avait 16-17 ans et qu’il s’entraînait avec des joueurs mieux classés que lui, il avait cette capacité à adapter son jeu au niveau des autres. C’est bien le signe qu’il avait quelque chose de spécial. Mon job, c’était de lui permettre de rester sur ce bon chemin. Donc non, son éclosion ne me surprend pas du tout. Mais c’est vrai que c’est arrivé très vite…”
On sait, il faut se garder des projections hâtives et des emballements trop naïfs. L’histoire du tennis – et notamment l’histoire très récente… – regorgent d’exemples de joueurs très vite montés en épingle et restés finalement englués aux portes de la gloire, pour différentes raisons, le plus souvent endogènes. Carlos Alcaraz n’a encore jamais gagné de Grand Chelem, et n’a encore jamais battu aucun membre du Big Three. Difficile, dans ces conditions, de parler de passation de pouvoir, même si son éclosion en revêt tous les atours.
Mais difficile aussi de ne pas voir en Alcaraz une pépite un peu différente des autres. On a beau chercher, on ne voit pas de failles chez lui. Ni dans son jeu, à la fois brutal et chirurgical, déjà extraordinairement abouti avec de nets progrès démontrés côté revers, naturellement moins fluide que son coup droit. Ni dans son intelligence tactique, formidablement développée à cet âge, à l’image de ces nombreux service-volée qu’il a décidé faire en finale (notamment sur balle de match) en voyant la position très reculée de Casper Ruud. Ni dans son physique, parfait mélange de puissance, d’endurance et de tonicité. Et encore moins dans sa force mentale, qui semble faite pour endurer la complexité de ce sport.
Bientôt un Grand Chelem ?
En Floride, Alcaraz a encore une fois impressionné par sa faculté à bien négocier les points importants (21/25 balles de breaks sauvées au total) mais surtout par l’audace dont il fait preuve dans ces moments-là. D’aucuns diraient qu’il n’a pas encore donné toutes les garanties de tenir physiquement l’enchaînement des matches en cinq sets, lui qui avait craqué lors de son quart à New York l’an dernier (abandon contre Auger-Aliassime). Mais honnêtement, y’a-t-il vraiment lieu d’avoir des doutes, surtout au vu de son évolution physique depuis lors ? La vérité est que, si nul ne peut prévoir l’avenir, ce serait à n’y rien comprendre si ce joueur là ne remportait pas rapidement un Grand Chelem.
Et pourquoi pas dans deux mois, du côté de Roland-Garros, pour coller encore un peu plus au parcours de Nadal ? La thèse, qui aurait paru absurde il y a quelques mois, a pris chaque jour un peu plus d’épaisseur durant la tournée américaine. Jusqu’à devenir, aujourd’hui, une probabilité bien réelle.
D’ores et déjà, Carlos Alcaraz est le troisième joueur le mieux coté chez la plupart des bookmakers pour triompher à Paris le 5 juin prochain, derrière – évidemment – Rafael Nadal et Novak Djokovic. A minima, il pourrait faire l’arbitre entre ces deux légendes, en espérant que l’une et l’autre débarquent en pleine forme du côté de la Porte d’Auteuil.
En attendant, le Martien de Murcie sera le grand épouvantail de la saison sur ocre qui s’ouvre cette semaine, du côté de Houston et Marrakech. Son programme à lui, très “Nadalien”, le conduira successivement à Monte-Carlo, Barcelone, Madrid et Rome, avec pour objectif avoué de figurer dans les huit premières têtes de série à Paris. Ce qui paraît tout sauf injouable.
Si le jeu très agressif d’Alcaraz lui permet de briller tout autant – et même plus selon certains – sur dur, n’oublions pas quand même qu’il est Espagnol, et que la terre battue coule dans ses veines. Le spin effarant qu’il imprime à chacune de ses frappes, son kick au service qui remonte aussi haut qu’un immeuble, et bien sûr la qualité de son jeu de jambes semblent taillés pour le jeu sur ocre.
Sans parler de l’une de ses armes ultimes : l’amortie, notamment de coup droit, qui lui a permis de gagner un nombre incalculable de points à Miami (il était à 51 sur 59 tentées avant la finale). Pas parce qu’elle est intrinsèquement meilleure que celle de ses collègues. Mais surtout parce qu’elle est jouée toujours à bon escient, et parce qu’il possède, à côté, une capacité d’accélération qui place constamment son adversaire sur les talons, donc vulnérable à une petite carotte malicieusement plantée. Une gifle, une caresse : avec Alcaraz, c’est vrai, on ne sait jamais vraiment à quoi s’attendre. Si ce n’est au meilleur, et probablement pour longtemps…