Épanoui, concentré et appliqué, ce Kyrgios-là peut tutoyer les sommets
Donné quasiment perdu pour le tennis l’an dernier, Nick Kyrgios transpire la sérénité retrouvée depuis le début de la saison. Le voilà en huitièmes à Miami après une nouvelle victoire solide face à Fabio Fognini, ce dimanche (6-2, 6-4 en 1h01). Une simple étape ?
Nick Kyrgios l’a souvent répété durant sa carrière, encore pas plus tard qu’au début de sa campagne à Miami. “Peu importe mon classement et celui de l’adversaire, sur un match, je sais que je peux battre tout le monde.”
Personne n’en doutait, et Kyrgios est en train de le prouver une nouvelle fois en Floride où il se retrouve en huitièmes de finale sans perdre un set. Ce dimanche, l’Australien a maîtrisé le choc des artistes face à Fabio Fognini (6-2, 6-4 en 1h01), deux jours après avoir proprement pulvérisé Andrey Rublev, tête de série n°5, en moins d’une heure.
Certes, ce n’était pas forcément un “prime” Fognini, qui a fait appel au physio à la fin du premier set, vraisemblablement un peu malade. Mais dans le deuxième, l’Italien a malgré tout lâché le bras et Kyrgios a dû serrer le jeu pour conclure. Ce qu’il a fait, sans ciller, sans trembler, avec l’aide de son service toujours imprenable (77% de premières balles…) et avec beaucoup de sérieux, malgré un sempiternel service à la cuillère frappé à 40-0 en cours de set à la demande d’un spectateur.
Kyrgios aurait changé ?
A 26 ans, on nous l’aurait changé, Kyrgios ? C’est peu dire en tout cas qu’il n’affiche pas le même visage que l’an dernier où, miné par l’ambiance “covidienne” du circuit et des soucis d’ordre personnel (avec les problèmes de santé de sa mère et une relation sentimentale houleuse), l’Australien avait lâché, en pleine Laver Cup, qu’il était quasiment prêt à se retirer du circuit.
Puis est arrivé l’hiver, et peu de temps après sa rupture avec Chiara Passari, Nick a officialisé une nouvelle relation avec la blogueuse Costeen Hatzi, aux côtés de laquelle il affiche depuis régulièrement son bonheur sur les réseaux. Et pas que sur les réseaux, d’ailleurs. Lien de cause à effet ou pas, l’ancien numéro un mondial juniors transpire également le bonheur retrouvé sur le court depuis le début de la saison.
J’ai eu le sentiment d’être un peu en proie aux mêmes émotions négatives qu’Osaka
Nick Kyrgios
“J’ai eu mes problèmes, qui m’ont emmené dans des zones assez sombres”, a-t-il ainsi confirmé en conférence de presse. “J’en ai parlé avec Naomi (Osaka), j’ai eu le sentiment d’être un peu en proie aux mêmes émotions négatives qu’elle. J’ai ressenti ce stress mental permanent et cette négativité ambiante, mise par vous, les médias, parfois même par mon entourage. Si bien que j’en suis arrivé à ne plus supporter cette pression. Il n’y avait plus rien de positif en moi.”
“Ça m’a pris du temps mais aujourd’hui, j’ai l’impression d’en être arrivé à un stade de ma vie où je suis enfin heureux”, a-t-il par ailleurs expliqué. “J’ai une petite amie magnifique. Mon meilleur pote est là. Je joue bien, je me sens bien. Et je pense que le fait d’être en paix et heureux dans sa vie peut vraiment aider à jouer son meilleur tennis, surtout dans les moments importants. Je dirais que j’ai le bon état d’esprit désormais.”
Et ça se voit. Après un retour plutôt prometteur à l’Open d’Australie où il avait réussi à prendre un set à Daniil Medvedev au deuxième tour (et en remportant le double aux côtés de Thanasi Kokkinakis), Kyrgios, redescendu à la 137e place mondiale en février (rappelons qu’il était 13e en 2016), a retrouvé sa force de frappe à Indian Wells où il a bien failli s’offrir une nouvelle victoire sur Rafael Nadal en quarts de finale. C’eût été la quatrième de sa carrière, lui qui fait partie des rares joueurs à avoir battu l’ensemble des joueurs du Big Three (et même du Big Four en rajoutant Murray).
J’ai travaillé comme jamais. Je pense que j’ai fait la plus grosse pré-saison de ma vie.
Nick Kyrgios
A Miami, Kyrgios semble avoir encore franchi un cap en termes de sérénité et de maîtrise de son tennis. Logique. Tout Kyrgios qu’il est, il n’en reste pas moins soumis à la même loi universelle que tous les tennismen du monde : celle d’avoir besoin, pour recouvrer peu à peu sa plénitude, d’accumuler des matches, des victoires et de la confiance. Et même du travail.
Car le niveau que Kyrgios montre ici à Miami ne tombe pas du ciel, figurez-vous. “Ces derniers temps, j’ai travaillé comme jamais. Je pense que j’ai fait la plus grosse pré-saison de ma vie. Je me suis entraîné aussi dur que possible, et cela faisait très longtemps que je n’avais pas été dans une telle forme physique.”
Et ce malgré une blessure au genou devenue chronique au fil des mois, mais qu’il a enfin pris à bras-le-corps en vue de cette saison 2022. “L’an dernier, je n’ai pas pu voyager avec mon physio car il y avait des restrictions sur le circuit. Vu l’état de mon genou, ça n’était pas possible de jouer au plus haut niveau. Désormais, je fais au moins une heure de soins par jour, parfois plus les jours de match. Pas seulement sur mon genou, d’ailleurs, mais aussi sur toutes les autres parties du corps qui doivent rester solides pour préserver mon genou.”
Epanoui, en confiance, en pleine forme malgré ce genou qui couine, ce Kyrgios-là, dont le talent ne l’a en revanche jamais lâché, peut incontestablement faire mal. Très mal. Surtout ici à Miami, un tournoi qu’il adore et où il a été deux fois demi-finaliste en 2016 et 2017. La question, à nouveau, se pose très sérieusement : ne fait-il pas partie désormais des favoris au titre ?
Je sais que je vais avoir des semaines incroyables, et d’autres un peu pourries. Mais je vais essayer de ne plus faire les montagnes russes émotionnelles en fonction de mes résultats.
Nick Kyrgios
Cette question-là ne passionnera que les observateurs. L’intéressé, lui, a désormais trop d’expérience pour éviter de se la poser. Le bougre se connaît. “C’est ma neuvième année sur le circuit. Je sais que je vais avoir des semaines incroyables, et d’autres un peu pourries. Mais je vais essayer de ne plus faire les montagnes russes émotionnelles en fonction de mes résultats, ne plus passer d’une phase super haute à une autre où je noie mon chagrin. Je vais tâcher de rester toujours plus ou moins le même. C’est plus sain”, philosophe-t-il.
Une philosophie très “Kyplingienne” – recevoir la victoire et la défaite, ces deux imposteurs, d’un même front… – qui augure des lendemains sportivement très heureux. S’il maintient ce niveau et cet état d’esprit, nul ne doute que Nick Kyrgios peut revenir tutoyer les sommets auxquels il était promis depuis si longtemps, avant de s’égarer en cours de route.
Cela dit, tutoyer les sommets n’est peut-être pas forcément son ambition première quand on sait que l’Australien a prévu ensuite de zapper la saison sur terre battue, hormis une pige à Houston où il est inscrit. Pas de Roland-Garros a priori à son programme, même s’il avait dit à Indian Wells qu’il comptait y jouer cette année… avant de rajouter qu’il “déconnait”. Vraiment ?
Top 100 et entrée dans le tableau de Wimbledon
Quoi qu’il en soit, Kyrgios a d’ores et déjà fait le nécessaire. Sa performance américaine du mois de mars devrait lui assurer un retour dans le top 100, et donc, à ce stade, une entrée directe dans le tableau de Wimbledon, si tel doit être son prochain Grand Chelem. Le garçon, on le sait, figure toujours dans la short-list des organisateurs pour la distribution des wild-cards. Mais c’est toujours plus confortable de s’en passer.
Quoi qu’il en soit, Nick Kyrgios a désormais le regard totalement tourné sur l’avenir. Sans renier son passé, fût-il parfois chargé. “Je repense à toutes ces erreurs que j’ai pu faire avant. Il n’y pas de place pour les regrets. Maintenant, je veux juste aller de l’avant.” Plus de doute. On nous a changé Nick Kyrgios. Pour le meilleur et, espérons-le, moins souvent pour le pire.