Alcaraz le tout-terrain a encore un talon d’Achille : le tennis indoor
Carlos Alcaraz est le plus jeune joueur de l’histoire à avoir gagné des tournois du Grand Chelem sur trois surfaces différentes. Mais l’Espagnol cultive un paradoxe : il évolue encore en-deça de son potentiel sur court couvert.
Bien sûr, lors de ces ATP Finals, il est malade. Au Rolex Paris Masters, il a été surpris par la surface la plus rapide de la saison. On note dans les archives quelques abandons. Mais on note surtout ceci : Carlos Alcaraz, le plus jeune joueur de tous les temps à avoir gagné trois tournois du Grand Chelem sur trois surfaces différentes, n’évolue pas à son niveau quand vient la saison indoor, notamment depuis 2022, année de sa première victoire en majeur, où son retour sur les courts avait été une calamité contre David Goffin à Astana (7-5, 6-3).
Pas de titre – en dehors du Masters NextGen 2021 – pas de finale sur le circuit ATP, et des souvenirs cuisants quand il a su se hisser dans le dernier carré d’un tournoi, voici ce que donne le palmarès du numéro 3 mondial sur court couvert. Ce fut le cas lors des ATP Finals 2023 où il avait été surclassé par Djokovic, ou Bâle 2022 quand Auger-Aliassime l’avait aussi sévèrement dominé.
S’il assurait à Bercy il y a trois semaines qu’il se sentait capable de gagner le Masters 1000 parisien, dont il était devenu le favori après le retrait de Jannik Sinner, il avait perdu à son deuxième match contre Ugo Humbert. Sur court couvert, Alcaraz est tout simplement un joueur plus « prenable » et moins « souverain ». « Je ne dirais pas que je joue si mal en indoor, mais vous pourrez me citer beaucoup de joueurs meilleurs que moi » synthèse le protégé de Juan Carlos Ferrero.
Alcaraz : “Je dois faire mieux”
Etrangement cette tendance de fond ne se retrouve pas dans les compétitions par équipes : l’Espagnol a remporté ses deux matches de Coupe Davis (Humbert, Machac) et de Laver Cup (Shelton et Fritz sans perdre un set) cette année. Mais, sauf s’il crée un précédent lors des ATP Finals en remportant son premier grand titre, Alcaraz reste un joueur plus fragile quand il n’évolue pas au grand air. Son match de poules, décisif pour la qualification, à 14 heures contre Alexander Zverev, donnera une idée précise de son niveau actuel.
C’est une question complexe, a-t-il reconnu en substance à Turin après son premier match perdu contre Casper Ruud, en disant : « Il m’est difficile de répondre à cette question aussi bien que je le voudrais. » Mais le Murcien avait dressé une réalité assez simple : l’indoor est pour lui une terre inconnue, en comparaison avec des Djokovic, Federer, qui ont grandi sur des territoires à l’hiver mordant où les courts indoor sont la règle, ou plus près de nous, Ruud, Rune ou Humbert.
J’ai pu m’entraîner en indoor mais j’ai finalement peu de matches en compétition au compteur.
« Je n’ai aucune expérience sur courts couvert, a résumé Alcaraz lundi. J’ai pu m’entraîner en indoor mais j’ai finalement peu de matches en compétition au compteur. Je ne sais pas… Tout est question de pratique, de répétition, d’expérience. Je dois faire mieux à cette période de la saison. »
« Cette période de la saison. » La ligne est difficile à tracer entre le fait que Carlos Alcaraz ait un tennis moins efficace indoor et le fait qu’il soit moins bon, car émoussé, en toute fin d’année. Roger Federer a dû attendre ses 23 ans (en 2004), Rafael Nadal et Novak Djokovic leurs 24 ans (en 2010 et 2011, respectivement) pour obtenir l’endurance mentale et physique nécessaires pour maintenant leur niveau d’excellence tout au long d’une saison.
A 21 ans, Carlitos est encore dans cette recherche. Impossible de savoir ce que donne son tennis pratiqué indoor en début d’année. On ne l’a jamais aperçu à Rotterdam ou Montpellier mais toujours sur la terre de Buenos Aires ou Rio en février.
Alcaraz incroyable en extérieur
Alcaraz ne possède, a priori, aucune raison de ne pas exceller sur court couvert, où l’absence de contrainte météo rendrait ses coups et sa polyvalence plus clinique encore. Mais c’est peut-être le processus contraire qui est à l’œuvre selon Patrick Mouratoglou, coach de Naomi Osaka et co-fondateur de Tennis Majors. « Alcaraz est incroyablement bon en extérieur. Ce qui dérange la plupart des joueurs – le vent, le soleil…. – n’a finalement pas de prise sur lui et ses qualités physiques, sa puissance et son toucher. Il ne peut pas utiliser cet atout en indoor, cet avantage y est neutralisé. »
« C’est aussi un joueur qui aime contrôler le jeu, souligne Mouratoglou. Il sait défendre mais c’est plus difficile pour lui de contrôler sur court couvert, car tout le monde sert bien, et car le jeu de tout le monde est comme sublimé indoor. » Les données collectées par la société de collecte et visualisation de données Tennis Viz illustrent parfaitement cet état de fait.
« La grande diffèrence entre le Alcaraz outdoor et indoor, c’est ce que l’on appelle le steal score, sa capacité à renverser un point quand l’adversaire est en position d’attaque », indique un rapport réalisé pour Tennis Majors. « Il en était à 29% en 2003, c’est très bas comparé à ses 40% outdoor 2024. »
Alcaraz plus souvent sur la défensive
Ce chiffre a augmenté en 2024, avec 37% au cours de ses deux premiers matches aux ATP Finals, 36% contre Jarry au premier tour du Rolex Paris Masters et même 41% contre Humbert à Paris. Mais ce chiffre dissimule une autre difficulté bien documentée par Patrick Mouratoglou : Alcaraz n’a pas passé que 23% du temps en attaque face à Humbert contre 31% pour son hyper agressif adversaire.
A ce stade de sa carrière, Alcaraz ne tire pas encore bénéfice de la hausse de la qualité de son service, mécanique sur court couvert – surtout cette année avec une accélération des surfaces constatée. Si l’indice de qualité de son coup passe de 7,9 (2004 outdoor) à 8,4 (ATP Finals 2024), son retour passe de 8,1 à 7, essentiellement en raison de l’impact accru du service de ses adversaires.
Je serai un très bon joueur indoor un jour, je n’ai aucun doute à ce sujet
« Il n’y a aucune raison objective pour qu’Alcaraz ne soit pas capable de déployer du très bon tennis indoor, développe Mouratoglou. Il a juste probablement besoin d’y jouer davantage. » Car si toutes les stats de TennisViz enseignement que tout le jeu d’Alcaraz a moins d’impact sur cour couvert – notamment en coup droit, où la rotation de sa balle est moins rapide –, elles enseignent aussi que c’est une affaire de petits réglages. « Je serai un très bon joueur indoor un jour, je n’ai aucun doute à ce sujet » conclut Alcaraz, qui sait aussi que Rafael Nadal n’a jamais gagné ni le Rolex Paris Masters, ni les ATP Finals.