7 novembre 1993 : le jour où le public de Paris-Bercy a sifflé Ivanisevic parce qu’il servait trop bien
Chaque jour, Tennis Majors remonte le temps pour revenir sur un événement marquant pour la planète tennis. Aujourd’hui, nous retournons en 1993 pour voir comment le service meurtrier de Goran Ivanisevic, même s’il lui a permis de gagner le tournoi de Bercy, lui a attiré les foudres du public.
Ce qu’il s’est passé ce jour-là et pourquoi c’est historique : Un manque de spectacle qui a énervé le public de Bercy
Ce jour-là, le 7 novembre 1993, Goran Ivanisevic domine Andrei Medvedev en finale de l’Open de Paris-Bercy (6-4, 6-2, 7-6), en réalisant pas moins de 27 aces et 32 services gagnants. Le Croate sert tellement bien que le public a fini par huer ses aces, considérant qu’il tue le spectacle. L’attitude du public ce jour-là sera l’un des événements-clés qui conduiront les responsables de l’ATP à ralentir le jeu dans les années suivantes.
Les acteurs : Goran Ivanisevic et Andrei Medvedev
- Goran Ivanisevic, jeune pépite, gros serveur
Goran Ivanisevic est né en 1971 à Split, en Croatie, et a explosé au plus haut niveau en 1990, à l’âge de 19 ans. Cette année-là, il se fait connaître du grand public en atteignant les quarts de finale à Roland-Garros après avoir battu Boris Becker, alors classé n° 3 mondial, au premier tour, puis en atteignant les demi-finales de Wimbledon – où il est battu par le même Becker (4-6, 7-6, 6-0, 7-6). En 1991, sa saison est perturbée par des problèmes politiques dans son pays, la Yougoslavie étant ravagée par la guerre civile, et il ne parvient pas à se concentrer sur le tennis. En 1992, il revient au sommet et, en réalisant 206 aces pendant le tournoi, il atteint la finale de Wimbledon où il est battu en cinq sets par Andre Agassi (6-7, 6-4, 6-4, 1-6, 6-4). Il termine l’année à la cinquième place mondiale, mais en 1993, il se blesse au pied avant l’Open d’Australie et peine à trouver son rythme lors de son retour sur le circuit. Le Croate ne passe pas le troisième tour d’un seul tournoi du Grand Chelem et sort du top 10. Cependant, il recommence à bien jouer sur cours couverts, remportant ses premiers titres de l’année à Bucarest et à Vienne (où il bat la star locale, Thomas Muster, en finale, 4-6, 6-4, 6-4, 7-6), et terminant finaliste du Masters 1000 de Stockholm (battu par Michael Stich, 4-6, 7-6, 7-6, 6-2). Grâce à ces résultats, il est la tête de série n°9 de l’Open de Paris-Bercy.
- Andrei Medvedev, numéro huit mondial à 19 ans
Andrei Medvedev, né en 1974 à Kiev, a percé très tôt au plus haut niveau. L’Ukrainien remporté son premier titre à Gênes dès 1992, à l’âge de 17 ans, en battant Guillermo Perez-Roldan en finale (6-3, 6-4). Ce premier trophée est rapidement suivi de deux autres, à Stuttgart et à Bordeaux, et à la fin de l’année, Medvedev est déjà 24e mondial. Il poursuit sa route vers le sommet en 1993, en battant le futur vainqueur de Roland-Garros, Sergi Bruguera, sur ses propres terres, en finale de Barcelone (6-7, 6-3, 7-5, 6-4 ). L’Espagnol prend sa revanche à Roland-Garros quelques semaines plus tard, en battant Medvedev en demi-finale (6-0, 6-4, 6-2). En novembre 1993, à 19 ans, l’Ukrainien est 8e mondial, a déjà remporté six titres sur le circuit et est devenu le troisième joueur de moins de vingt ans – après Mats Wilander et Boris Becker – à avoir gagné un million de dollars de prix.
Le lieu : Palais omnisport de Paris-Bercy
Le tournoi en salle de Paris-Bercy est créé en 1986. Disputé chaque année au début du mois de novembre, il s’agit en général du dernier tournoi avant le Masters et la finale de la Coupe Davis. C’est l’un des tournois en salle les plus cotés au monde, et il intègre la catégorie Super 9 (ancien nom des Masters 1000) en 1990. A son palmarès, on retrouve de grandes stars comme Boris Becker (1986, 1989, 1992) ou Stefan Edberg (1990).
L’histoire : Le public s’est retourné contre Ivanisevic et son service qui a tué le spectacle
Lorsque Goran Ivanisevic pénètre sur le court du Palais Omnisports de Paris-Bercy pour affronter Andrei Medvedev en finale, sa réputation de grand serveur n’est plus à faire. Le gaucher croate a notamment réussi 206 aces à Wimbledon, en 1992, lorsqu’il a perdu une finale en cinq sets contre Andre Agassi. À Paris, en route vers la finale, il a déjà servi 70 aces pour battre trois joueurs du top 10 : Michael Chang (7-6, 7-5), Pete Sampras (7-6, 7-5) et Stefan Edberg (4-6, 7-6, 7-6). Cependant, ni le public parisien ni Medvedev n’imaginent encore que ce jour-là, Ivanisevic s’apprête à faire une telle démonstration au service que les instances du tennis seraient obligées de ralentir le jeu pour maintenir l’intérêt du public !
Pendant trois sets, Medvedev, pourtant 8e mondial se montrera incapable de relancer le service du Croate. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en quinze jeux de service et un tie-break, Ivanisevic assène à son adversaire 27 aces et 32 services gagnants – presque assez pour tenir son service tout le match sans jamais avoir à frapper un deuxième coup de raquette.
Tout au long de la semaine, le public parisien a montré beaucoup de soutien à Ivanisevic, mais ce jour-là, son service gâche le spectacle et une partie du public finit par le huer après chacun de ses services non retournés.
“Je ne l’ai pas hué parce que j’étais un grand fan”, se souvient Vincent, un passionné de tennis qui était dans le public ce jour-là. “Cependant, je dois reconnaître qu’il n’y avait pas grand-chose à voir sur ses jeux de service et que ce n’était pas une grande finale.”
Ivanisevic ne se laisse pas perturber par l’attitude hostile de la foule, et boucle sa victoire, 6-4, 6-2, 7-6.
“Je m’en fiche”, déclare Ivanisevic, à propos des huées, selon le Los Angeles Times. “Ils veulent cinq sets, mais moi je ne veux pas jouer cinq sets. (…) “Battre quatre gars du top 10 dans un tournoi n’est pas si facile”
Postérité du moment : Les instances décideront de ralentir les surfaces
La finale du tournoi de Bercy 1993 restera comme l’un des matchs clés, avec la finale de Wimbledon de 1994 (qui mettra également en scène Ivanisevic), qui conduiront les instances du tennis à ralentir le jeu.
“Nous voulons améliorer le tennis sur nos surfaces les plus rapides”, dira Mark Miles, directeur de l’ATP, cité par le New York Times à la fin 1994.
“C’est la preuve que nous ne devons pas chercher à changer les règles du tennis mais travailler avec la combinaison de la surface et des balles”, déclarera à la même époque Patrice Clerc, directeur du tournoi de Bercy.
La plupart des tournois en salle adopteront rapidement des balles plus lourdes et ralentiront leurs surfaces afin de rallonger la durée des échanges. À Wimbledon, après avoir essayé différents types de balles, le comité de direction décidera finalement de modifier la composition du gazon, ce qui aura pour effet de faire lentement disparaître le jeu de service-volée du All England Club.
En 1994, après avoir atteint une deuxième finale à Wimbledon (perdue face à Pete Sampras, 7-6 ,7-6, 6-0), Ivanisevic obtiendra son meilleur classement, 2e mondial. En 1996, il servira un record inégalé de 1477 aces en une saison. En 1998, il subira une troisième défaite déchirante en finale de Wimbledon, où il sera tout près de mener deux sets à rien avant d’être à nouveau battu par Sampras (6-7, 7-6, 6-4, 3-6, 6-2). Dévasté par ce match, qu’il qualifiera de “pire moment de sa vie”, Goran Ivanisevic ne gagnera pas un seul tournoi au cours des 24 mois suivants, mais en 2001, entrant dans le tableau principal en tant que wild card et classé seulement 121e mondial, il triomphera enfin à Wimbledon, en battant Patrick Rafter en finale (6-3, 3-6, 6-3, 2-6, 9-7).
Après avoir atteint la quatrième place mondiale en 1994, Andrei Medvedev connaîtra bien des difficultés pendant cinq ans, restant un solide joueur du top 30, mais affichant des performances bien inférieures aux espoirs qu’il avait suscités à ses débuts. En 1999, il réalisera un dernier exploit remarquable en atteignant la finale de Roland-Garros en tant que 101e mondial, battu par Andre Agassi après avoir mené deux sets à zéro (1-6, 2-6, 6-4, 6-3, 6-4).