5 février 1985 : Le jour où Lendl a terminé un match en autoarbitrage
Ivan Lendl et Larry Stefanki, en désaccord avec une décision arbitrale, ont décidé de terminer un match en autoarbitrage à Delray Beach, le 5 février 1985. Une rareté dans le tennis professionnel.
Ce qui s’est passé ce jour-là : Un match pro terminé en autoarbitrage
Le 5 février 1985, à Delray Beach, Ivan Lendl et Larry Stefanki achèvent leur match du premier tour, gagné par le Tchécoslovaque (6-2, 6-0), en l’absence de l’arbitre. Les deux joueurs s’opposent en effet à l’Italien Luigi Brambilla après qu’il a infligé un point de pénalité à Stefanki, et l’officiel finit par quitter le court, laissant les joueurs s’auto-arbitrer jusqu’à la fin du match.
Les personnages : La machine Lendl et l’inconnu Stefanki
Né en 1960 et alors âgé de 25 ans, Ivan Lendl redéfinit les standards du jeu de fond de court, avec un coup droit lifté très puissant qui lui permet d’être à la fois agressif et extrêmement régulier. Il pousse ses adversaires à un rude combat physique, comme personne depuis Borg.
Lendl redéfinit également les standards en termes de préparation, s’entraînant plus que quiconque auparavant, bien plus soucieux de sa condition physique et de son alimentation que n’en avaient l’habitude de l’être les tennismen de l’époque.
Passé pro en 1978, il se pose dès 1980 comme l’un des quatre meilleurs joueurs au monde avec Björn Borg, John McEnroe et Jimmy Connors. Bien qu’il a déjà remporté des dizaines de tournois ATP, dont le Masters 1981 en venant à bout de Vitas Gerulaitis dans une finale devenue mythique (6-7, 2-6, 7-6, 6-2, 6-4), il ne parvient pas à décrocher un titre du Grand Chelem avant 1984.
A vrai dire, il a échoué à quatre reprises en finale, une fois à Roland-Garros (en 1981, battu par Bjorn Borg, 6-1, 4-6, 6-2, 3-6, 6-1), deux fois à l’US Open (battu par Jimmy Connors, en 1982 et 1983) et une en Australie (battu par Mats Wilander en 1983).
En 1984, Lendl triomphe finalement à Roland-Garros, venant à bout de John McEnroe à l’issue d’une finale légendaire où il surmonte un handicap de deux sets (3-6, 2-6, 6-4, 7-5, 7-5). Le même McEnroe prend sa revanche en finale de l’US Open 1984 (6-3, 6-4, 6-1), et à l’entame de la saison 1985, Lendl est troisième mondial.
Larry Stefanki, né en 1957 aux États-Unis, est passé pro en 1979. Il obtient son meilleur résultat en Grand Chelem à Wimbledon en 1982, et est éliminé au troisième tour par le 10e mondial, Gene Layer (7-6, 6-3, 6-0). Il atteint son meilleur classement, 89e mondial, en janvier 1984. Mais un an plus tard, il n’est plus que 141e au classement ATP.
Le lieu : Miami, sur les terres de l’ancêtre du Masters 1000
En 1985, le Lipton International Players Championships, joué sur dur extérieur, est la première édition de ce qui deviendra ensuite le Masters 1000 de Miami. L’événement a lieu à Delray Beach, au Laver’s International Tennis Resort, un club fondé par Ian, le cousin de Rod Laver, et qui compte 40 courts de tennis.
L’histoire : Quand deux joueurs se liguent contre l’arbitre
Lors des onze premiers jeux du premier tour du Lipton Championships opposant Ivan Lendl à Larry Stefanki, rien ne laisse présager que ce match fera date dans l’histoire du tennis. Lendl, 3e joueur mondial, mène 6-2, 3-0, 40-15 face au 141e mondial, qui est totalement surclassé.
À ce moment-là, le premier service du Tchécoslovaque est donné bon par l’arbitre, ce qui le transforme en ace. Stefanki pense que la balle est largement dehors et vient parlementer avec l’arbitre, Luigi Brambilla, qui l’ignore et se contente d’annoncer le score, 4-0 pour Lendl. Stefanki attend que l’arbitre daigne au moins lui répondre, mais celui-ci lui inflige alors un point de pénalité pour dépassement de temps.
Lendl a dit que nous devrions jouer pendant que les arbitres discutent.
Larry Stefanki
Cette fois, c’est Lendl qui s’en mêle. Il estime que son adversaire n’a rien fait de mal et n’entend pas prendre ce point. “C’était ridicule”, expliquera plus tard le Tchécoslovaque. Stefanki est l’un des mecs les plus sympas du circuit. Il a juste posé une question, et il méritait une réponse. J’ai dit à l’arbitre que je commencerai le jeu suivant à 0-0.”
Brambilla, perplexe face à cette situation inhabituelle, quitte alors le court pour discuter avec le superviseur, mais quelque chose d’encore plus inattendu se produit alors. Tandis que Brambilla débat avec Thomas Karlsberg, le superviseur, Lendl et Stefanki reprennent le match. “Lendl a dit que nous devrions jouer pendant qu’ils discutent”, racontera l’Américain.
Quelqu’un dans la tribune de presse annonçait le score.
Larry Stefanki
Lorsque l’arbitre est de retour, il demande aux joueurs de démarrer le cinquième jeu, mais se heurte à leur refus, puisque entretemps, ils sont parvenus à 40 partout. Cette fois, Brambilla, offusqué, quitte le court pour de bon, suivi des juges de ligne. Tout ceci ne dérange absolument pas les joueurs.
“Nous avons continué à jouer et l’arbitre est parti, expliquera Stefanki. Lendl et moi nous sommes auto-arbitrés et quelqu’un dans la tribune de presse annonçait le score.”
Cette drôle de situation ne s’éternise pas, puisque Lendl conclut l’affaire 6-2, 6-0. Après la traditionnelle poignée de mains, le Tchécoslovaque, peu connu pour son sens de l’humour, fait l’une des rares plaisanteries de sa carrière, agitant sa main en direction de la chaise vide pour faire semblant de saluer l’arbitre. Peut-être là l’événement le plus surprenant du jour.
Un article de presse en anglais relatant l’information en 1985 est en ligne ici.
La postérité du moment : Brambilla écarté, Stefanki boosté
Aucune mesure disciplinaire ne sera prise à l’encontre des joueurs, mais Brambilla n’officiera plus qu’en tant que juge de ligne jusqu’à la fin du tournoi.
“C’était un problème d’arbitrage, selon Ken Farrar, le chef des superviseurs du tournoi. Le match ne s’est pas déroulé selon les normes les plus strictes en matière d’arbitrage. Il aurait dû répondre à la question du joueur.”
Lendl atteindra les huitièmes de finale du tournoi, battu par Stefan Edberg (7-6, 6-4).
La semaine suivante, à La Quinta, Stefanki remportera son premier et unique titre sur le Tour, en battant David Pate en finale (6-1, 6-4, 3-6, 6-3). Grâce à ce résultat, il atteindra le meilleur classement de sa carrière, 35e mondial. Stefanki deviendra plus tard plus célèbre en tant qu’entraineur, ayant travaillé avec plusieurs numéro un mondiaux, dont Marcelo Rios, Yevgeny Kafelnikov et Andy Roddick.