2022, la saison où le tennis masculin a (cette fois réellement) pris date pour contester Nadal et Djokovic
La finale des ATP Finals entre Novak Djokovic et Casper Ruud couronne une saison où Djokovic et Nadal ont maintenu leur mainmise sur les grands titres (4 sur 5), mais où un nombre plus important que prévu de joueurs s’est porté candidat pour les déloger.
La victoire de Novak Djokovic lors des ATP Finals a cette conséquence que la saison 2022 s’achève avec deux chefs. Un numéro un mondial de droit, Carlos Alcaraz, leader à l’ATP. Et un patron de fait peu contesté, Novak Djokovic, qui, s’il avait été gratifié de ses 2000 points théoriques remportés à Wimbledon, aurait le même nombre de points que le jeune Espagnol après la finale – celui-ci serait malgré tout numéro un mondial grâce aux points de son huitième de finale à Londres.
A 35 ans, on a senti le Serbe investi de l’envie de démontrer une nouvelle fois qu’il était bien le patron, au-delà de son goût mainte fois affirmé pour les records qui le voit égaler Roger Federer au nombre deux couronnes de maître (6) et glaner le titre de vainqueur du tournoi le plus âgé (35 ans). Ce statut de patron, Taylor Fritz le lui a décerné sans réserve après avoir été battu en deux tie-breaks en demi-finale.
“Quand Djokovic a été en mesure de jouer cette saison, il était le meilleur sur le circuit, a asséné l’Américain en référence aux interdictions de territoire du Serbe en Australie et aux États-Unis. Si vous le retirez de l’équation, je pense que tous les autres joueurs ont un niveau extrêmement proche et que, quand ils s’affrontent, tout se joue sur celui qui joue le mieux cette semaine-là, sur les conditions du court, sur les choix de jeu de chacun. Il doit bien y avoir, quinze, vingt joueurs capables de se battre les uns les autres en fonction des circonstances.”
Fritz omet que Djokovic n’a pas été le meilleur joueur de la saison sur terre battue, où l’occasion lui a été directement donnée de priver Rafael Nadal d’un 22e Grand Chelem et d’un début de saison parfait après sa victoire à l’Open d’Australie, malgré sa victoire à Rome. C’est, avec la finale du Rolex Paris Masters contre Holger Rune, perdue après avoir mené, le bémol qu’il fait donner à son analyse tranchée. Sans compter le fait que Nadal compte deux majeurs à son actif, dont un (Roland-Garros) en ayant battu Djokovic.
Pas d’Alcaraz contre Djokovic ou Nadal en Grand Chelem
La lecture de la saison de tennis ne peut que rester inaboutie face à l’absence d’affrontement direct dans un tournoi du Grand Chelem entre Djokovic et/ou Nadal d’un côté, et Alcaraz de l’autre.
Le protégé de Juan Carlos Ferrero a réalisé chef-d’œuvre qui le positionne au niveau (de jeu) des plus grands en éliminant coup sur coup Nadal puis Djokovic au Masters 1000 de Madrid, puis en pulvérisant en finale Alexander Zverev, le tenant du titre des ATP Finals et candidat proclamé à la première place mondiale cet hiver. Mais sa défaite contre Zverev à Roland-Garros (avant Nadal), puis celle contre Sinner à Wimbledon (avant Djokovic), nous ont privés de ces moments de vérité.
Alcaraz a fini par cueillir les fruits de sa progression exceptionnelle en devenant numéro mondial à l’US Open après avoir écarté Cilic, Sinner et Tiafoe. Sa finale contre Casper Ruud, place de numéro un mondial en jeu, avait pu apparaître comme baroque à l’époque. Elle était en réalité la première manifestation d’un dernier tiers de saison, qui s’achève avec les ATP Finals, où le nombre des prétendants à la contestation du Big Two s’est spectaculairement accru.
Cela s’est récemmment manifesté par la victoire d’Holger Rune au Rolex Paris Masters, grâce à laquelle deux teenagers se trouvent désormais dans le Top 10. Rune est le seul joueur de l’histoire à avoir gagné un “M1000” après avoir battu cinq Top 10 et il a dominé Djokovic à la régulière après avoir été mené d’un break au troisième set. Il a très peu de points à défendre avant le tournoi de Munich en mai 2023 et peut atteindre Roland-Garros dans la peau d’un Top 5.
Devant Rune, le peloton s’est extraordinairement resserré. Il est vertigineux de constater que l’homme qui était numéro un mondial il y a dix semaines, Daniil Medvedev, sera septième lundi après avoir quitté les ATP Finals aux jeux décisifs du troisième set : balle de match contre Rublev, service pour le match contre Tsitsipas, service pour le match contre Djokovic.
La liste des battus de la phase de poules ne ment pas sur la fragilité des hiérarchies. Elle compte Nadal, le seul joueur à deux Grands Chelems cet année, Medvedev le joueur qui a passé plus de temps à la première place en 2022, Tsitsipas, qui était encore en situation d’être numéro un mondial cinq jours plus tôt, et Auger-Aliassime, le meilleur joueur des sept semaines ayant précédé le Rolex Paris Masters.
On ne pense pas seulement à ses trois titres ATP remportés coup sur coup mais aussi à ses succès contre Alcaraz et Djokovic à deux semaines d’intervalle lors de la Coupe Davis et de la Laver Cup. Seuls Nadal et… Rune ont réalisé pareille performance en 2022.
Ruud bien placé pour mesurer le fossé
Les qualifications d’Andrey Rublev, Taylor Fritz et Casper Ruud pour le dernier carré à Turin ne sont, de ce point de vue, que la manifestation ultime d’un resserrement du peloton vers les deux légendes trentenaires qui n’ont, jusque’à preuve du contraire, aucun concurrent durable affirmé pour leur contester les grands titres.
Casper Ruud, seul joueur à avoir joué trois finales parmi les cinq plus grands tournois de l’année, est en quelque sorte le porte-drapeau de ces joueurs qui n’appartiennent ni à la NextGen pré-starifiée depuis bientôt cinq ans (Zverev, Tsitsipas, Medvedev), ni aux teenagers auxquels même le jeune retraité Federer prête le potentiel d’amener le tennis ailleurs (Alcaraz, Rune, Sinner).
Le Norvégien est aussi le mieux placé pour mesurer le fossé que Djokovic et Nadal ont maintenu avec les autres. Il n’a battu ni l’un, ni l’autre. Ne leur a même jamais pris un set : 0-2 contre Nadal dont une défaite lors de ces ATP Finals, et 0-4 contre Djokovic.
“On a vu Alcaraz et Medvedev dans cette situation…”
Interrogé samedi sur sa deuxième place mondiale occupée cette année et la tentation naturelle de la première, Ruud a eu du mal à dépasser la réponse convenue qu’il se devait de faire, conscient que l’équilibre des forces est instable.
« J’y suis passé très près et je vais travailler à l’avenir pour essayer de l’atteindre, mais je ne sais pas quoi dire d’autre. Il y a tellement de joueurs qui sont candidat aux grands titres en ce moment que la première place sera plus ouverte que jamais, peut-être pour des profils qui y feront un passage une fois. J’espère en être. Sur le papier, mes chances ne paraissent pas énormes mais je donnerai tout pour cela. On a vu Alcaraz et Medvedev dans cette situation. »
Plus de 2700 points sépareront les deux joueurs lundi et ils ne sont pas affrontés cette année. Signe que la première place est ouverte, mais peut-être pas à tous les vents, ils sont aussi les deux joueurs que Novak Djokovic a le plus encensés cette semaine dans ses déclarations publiques. Comme si, dans ce peloton qui se rapproche, il avait identifié une menace spécifique.