Comment le Zverev d’avant a plombé le Zverev nouveau en demi-finale du Masters
Alexander Zverev se prépare à défier Jannik Sinner et Carlos Alcaraz pour les grands titres en 2025. Mais il n’a pas encore encore fini sa mue, comme l’a révélé la demi-finale des ATP Finals perdue contre Taylor Fritz.
Franchement, il n’y avait pas grand monde, ce samedi matin à Turin et dans le monde du tennis, pour penser que la finale idéale des ATP Finals 2024 n’était pas Jannik Sinner contre Alexander Zverev. Le numéro 1 mondial contre le numéro 2. Le meilleur joueur de la saison contre le meilleur joueur de la fin de saison. Le leader au classement ATP contre celui qui convoite ouvertement de le dessaisir de ce statut en 2025.
Si Sinner a fait le job contre Casper Ruud, en ne lui laissant que trois jeux, Zverev a concédé une défaite frustrante, au jeu décisif du troisième set contre Taylor Fritz.
Même si Fritz possédait des stats extraordinaires contre Zverev – trois victoires consécutives avant la demi-finale dont un quart de finale à l’US Open – la très forte impression laissée par l’Allemand depuis trois semaines le désignait pour une troisième finale du Masters. Trois victoires en deux sets en poules dont une la veille contre Carlos Alcaraz, « dans ce qui fut probablement le match de plus haut niveau cette semaine », selon lui, un trophée au Rolex Paris Masters : c’est un Zverev au sommet de son art qui traverse l’automne finissant.
Au sommet de son art? Pas tout à fait encore puisque l’Allemand, qui cumule les heures d’entraînement en rab en plus de ses matches, est déjà axé sur la saison 2025 afin de remporter enfin (au moins) un titre du Grand Chelem. Ce chantier technico-tactique est en cours et son match contre Fritz, qui s’est joué à très peu de choses (6-3, 3-6, 7-6 au score ; 97-97 au nombre de points ; une balle de break convertie chacun), en a apporté la démonstration.
Zverev : “Comme ça que les matches se perdent”
« Je pense avoir mieux joué que lui au deuxième et au troisième set, a dit Zverev après le match. J’ai fait tout ce qui était nécessaire pour que ça se finisse bien pour moi, sauf gagner les points importants, à savoir les balles de break et le tie-break. C’est comme ça que les matches se perdent. »
Dit autrement, il a perdu cette demi-finale comme il perd la plupart des gros matches qui l’éloignent de ses objectifs depuis de longues années maintenant : en se montrant trop prudent dans les moments-clefs, en ne parvenant pas à maintenir son exceptionnel niveau tennistique moyen aux moments les plus tendus du match.
« Je n’ai pas saisi les chances que je me suis procurées et pourtant je m’en suis procuré plus qu’assez, confirme-t-il. J’ai joué un tie-break en-dessous de mon niveau moyen, disons. Bien moins bon que tout le reste du set. »
Dans une scène assez étonnante, Zverev n’a d’ailleurs rien pu dire d’autre que « Je ne sais pas quoi à répondre à cette question », à l’interrogation suivante : « Vous avez remporté 3 tie-breaks sur les 11 joués face aux top players cette saison. Est-ce que cela peut se travailler à l’entraînement, que de jouer son meilleur tennis tennis lors des « pressure moments ?» Zverev a désormais toute une intersaison pour le méditer.
Les quatre chantiers de Zverev
Il faut décoder le détail exact des chantiers sportifs que Zverev a entamés avec son staff. Il semble avoir compris, à voir ses matches et à l’écouter, qu’il devait faire évoluer son jeu dans quatre directions, après avoir déjà réglé un de ses défauts ancestraux, son nombre de doubles fautes :
- Devenir un meilleur relanceur. « Les meilleurs joueurs du monde ne sont plus les meilleurs serveurs, ce sont les meilleurs relanceurs », a-t-il déclaré vendredi, nommant Djokovic, Sinner, Medvedev et Alcaraz. Or il n’est que le 23e à ce classement selon l’ATP Tour ;
- Etre plus agressif, plus tôt dans l’échange, pourquoi pas monter au filet, et de façon générale davantage « assommer les points » qu’il ne savait le faire dans le passé ;
- Tenir cette ligne de conduite plus agressive notamment dans les moments importants, où souvent, sa passivité, qui est le côté obscur sur une extraordinaire solidité, l’a rattrapé – notamment dans ses deux finales de Grand Chelem perdues, en 2020 à l’US Open (Thiem) et en 2024 à Roland-Garros (Alcaraz).
- Se doter d’un coup droit aussi redoutable que son revers, ou au moins réduire l’écart. Carlos Alcaraz, vendredi, a dit combien cela changeait la vie de ses adversaires. « C’était dur de savoir de quel côté jouer pour trouver une faille » a dit l’Espagnol pour mettre en exergue les progrès de Zverev en coup droit.
Zverev a cependant montré en demi-finale qu’il état encore dans un « entre deux ». On sent ses intentions, elles concourent à sa superbe fin de saison, mais la récurrence de ces mini-défaillances ne lui a pas permis de faire basculer cette rencontre. Là où Fritz a disputé un très bon tie-break en étant solide et intraitable sur ses fondamentaux, ce fameux « service + 1 » qui l’aura mené à la quatrième place mondiale cette année, Zverev a tangué à deux moments-clefs du match :
- D’abord à 4-3 Fritz au troisième set, où il a dû sauver trois balles de break notamment à cause de ce qu’il a lui-même qualifié de « shaky forehand » (coup droit fébrile)
- Puis dans ce fameux jeu décisif, perdu 7-3 après avoir fait la course derrière (0-2, 1-4, 3-6, 3-7).
Le tie-break de la rechute
Commençons par ce fameux jeu décisif. En dehors d’un magnifique coup droit décroisé qui lui a permis de revenir à 3-5, Zverev a tout à regretter dans la façon dont il l’a joué, notamment un retour mollasson en coup droit sur une toute petite deuxième balle de Fritz. Ce point aurait pu lui permettre de revenir à 4-5 avec deux services à suivre. Il a été ponctué par une faute en longueur de ce fameux shaky forehand, à son troisième coup de l’échange.
Dans ce jeu à 4-3, Zverev ne s’en est sorti que parce Fritz lui-même a été trop timide pour se saisir de ses occasions. Mais entre une faute en revers derrière un bon service, une double faute, des coups retenus même en position favorable, l’Allemand avait déjà livré le type de jeu qu’on ne lui voyait plus faire ces derniers temps.
Sur la durée de la saison, les progrès de Zverev sont mesurables. Dans un rapport réalisé par TennisViz pour Tennis Majors, il apparaît que l’Allemand a réussi à rendre son jeu plus offensif, a beaucoup progressé en coup droit, mais que son retour stagne et, plus intéressant encore, le travail qu’il entreprend sur son jeu l’éloigne un peu du rendement optimal de son coup fort, le revers.
Son service a progressé… mais son revers a baissé
Voici ce qu’enseignent les chiffres :
• Zverev était en position d’attaque 25% du temps en 2023, contre 27% en 2024 et 29% sur la seule saison indoor (chiffres arrêtés après deux matches de poule).
• Autre progrès considérable : sa capacité à passer de la défense à l’attaque a vu son steal score (points gagnés après avoir été en situation défensive) de 32% à 36%.
• Le retour reste un sujet à traiter (indice de qualité de coup passée de 7,8 sur 10 à 7,6)…
• … et le revers a perdu en impact (8,1 contre 8 de saison à saison, 8,5 à 8,2 en indoor)…
• … même si Zverev a encore su amplifier un point fort, son service passé de 8,6 à 8,9 sur l’ensemble de la saison et de 8,8 à un stratosphérique 9,2 sur court couvert. Zverev était le 41e meilleur serveur du circuit en 2020, remarquait Mike James, le chief analyst de la Mouratoglou Academy, cet été sur le réseau X. Il a désormais le deuxième derrière Giovanni Mpetshi Perricard.
« 2024 aura été une grande année pour moi, a résumé Zverev après son autocritique. J’ai gagné 69 matches (il était en tête avant Sinner – Ruud samedi soir, ndlr). Mais je retiens surtout mes défaites contre Daniil (Medvedev) à l’Open d’Australie (menant deux sets à zéro) et Carlos (Alcaraz) en finale de Roland-Garros (menant deux sets à un). Et si je suis à nouveau dans la même situation l’an prochain, je ferai tout ce que je peux pour gagner. » Le chantier reste ouvert.