L’homme aux deux premières balles : Mpetshi Perricard peut-il révolutionner le tennis ?

Au Rolex Paris Masters, où il a été éliminé mercredi au 2ème tour, Giovanni Mpetshi Perricard a expliqué la genèse de son service désormais résolument tourné vers un risque maximum, assumé et décomplexé, en première comme en deuxième balle.

Giovanni Mpetshi Perricard Rolex Paris Masters 2024 service décomposition © Antoine Couvercelle / Panoramic

Et dire qu’il fût un temps certes assez lointain, au tout début de l’histoire du tennis, où le service n’était qu’une aimable mise en jeu, faite par en-dessous et qu’il était convenu d’expédier avec délicatesse au relanceur, sous peine de passer pour un malotru. Eh bien ce temps-là, qui était déjà révolu depuis belle lurette, a pris un tour encore un peu plus anachronique ces derniers mois avec l’avènement de Giovanni Mpetshi Perricard, dont le service assassin lui a en grande partie permis, dimanche dernier, de conquérir à Bâle son premier ATP 500 quelques mois après avoir atteint à Wimbledon son premier huitième de finale en Grand Chelem.

Avec le jeune Français de 21 ans, c’est à se demander si le service, probablement le coup qui a le plus évolué dans l’histoire du tennis, n’est pas arrivé au point ultime de son cheminement. Il n’est certes pas le premier “servebot” à s’imposer au plus haut niveau : Ivo Karlovic ou John Isner, pour ne citer que les deux plus connus, ou plutôt les deux qui semblent le plus proches de son profil, ont largement balisé la voie avant lui. Mais il est peut-être le premier, en revanche, à gommer avec autant d’efficacité la différence de vitesse et de rendement entre la première et la deuxième balle, dont il tend à faire disparaître le concept même. Avec lui, en fait, il n’y a plus vraiment ni première ni deuxième. Il y a juste deux chances de faire le point directement, via ou un ace ou un service gagnant. Point barre.

Cette philosophie de jeu aux accents kamikazes n’est pas nouvelle chez le Français. “On a mis cela en place l’année dernière avec Manu (Planque, son entraîneur), qui m’a fait la réflexion suivante : ‘tu sers des deuxièmes balles à 170-180 km/h et tu fais très peu de doubles fautes. Alors, autant essayer d’en mettre un peu plus parce quand l’échange se lance, tu perds plus de points que tu n’en gagnes’, racontait-il à Bercy après son succès sur Frances Tiafoe au premier tour. “On s’est mis à faire des paniers entiers de deuxième balles, en essayant de réduire mon taux de déchets au fur et à mesure. Ça n’est pas venu du jour au lendemain. Mais maintenant, cela fait plus d’un an que je travaille dessus et je commence à bien maîtriser.”

Une maîtrise qui a achevé de crever l’écran lors de son succès à Bâle, surtout en finale contre Ben Shelton où il a servi à 221 km/h en moyenne en première balle (241 au max), et 213 km/h en deuxième. Des statistiques qui n’ont échappé à personne et surtout pas à Carlos Alcaraz et Daniil Medvedev, lesquels, interrogés à Bercy sur l’OVNI tricolore, n’ont pas hésité à le qualifier de meilleur serveur du monde. Ce que confirment d’ailleurs les statistiques officielles de l’ATP : en 2024, “GMP” est bien le numéro 1 mondial des serveurs, selon un classement établi en combinant divers paramètres comme le pourcentage de premières balles, le pourcentage de points gagnés derrière la première et la deuxième balle, le pourcentage de jeux de service remportés ainsi que la moyenne d’aces et de doubles fautes par match.

9% d’écart de vitesse entre la première et la deuxième balle : seul maxime cressy fait “mieux”

Faire de la deuxième balle une arme aussi meurtrière que la première… Certains ont essayé (très peu, cela dit), ils ont eu des problèmes. Comme Maxime Cressy, peut-être le premier joueur du top 50 (il a été 31è en 2022) à avoir ouvertement revendiqué une philosophie similaire, avec en outre une attirance bien plus forte pour le service-volée. Donc un risque encore supérieur.

Selon les statistiques de Tennis Viz, le Franco-Américain est, en 2024, le seul joueur de l’élite qui présente une différence de vitesse inférieure à celle du Français entre ses deux balles de service : 5% d’écart entre sa vitesse moyenne en première balle (206 km/h) et sa vitesse moyenne en deuxième balle (196,3 km/h) ; selon ces statistiques, arrêtées après le tournoi de Bâle, “Gio”, lui, est à 9% : 219 km/h de moyenne en première, 198 km/h en deuxième. Vient ensuite Ben Shelton, avec un ratio de 11% : 198 km/h de moyenne en première, 175 en deuxième.

Giovanni Mpetshi Perricard Rolex Paris Masters 2024 service lancer de balle
© Chryslène Caillaud / Panoramic

Là où le Lyonnais frappe les esprits, c’est qu’en valeur absolue, c’est-à-dire en vitesse de pointe, il est très loin devant tout le monde. Il est loin devant aussi en nombre d’aces réussis par match (18,6 en moyenne), tout en restant dans des proportions raisonnables de doubles fautes commises (5,1, soit moins que des joueurs comme Alexander Bublik ou Denis Shapovalov par exemple). Faites le calcul : cela fait une moyenne de 3,64 aces pour une double (et encore, les stats ne recensent ni les services gagnants, ni les points inscrits sur le deuxième coup de raquette). Lorsqu’il est au-dessus, comme à Bâle, c’est jackpot. Lorsqu’il est en dessous comme à Bercy (13 doubles fautes contre Frances Tiafoe, 8 contre Karen Khachanov), c’est plus compliqué. Simple. Basique.

La double, elle fait partie du risque. Et je suis prêt à assumer ce risque jusqu’à la fin de ma carrière.

Giovanni Mpetshi Perricard.

“Disons que mon jeu est assez risqué”, disait-il en rigolant à Bercy, où il a déclaré forfait ce jeudi pour le double qu’il devait jouer avec son pote Arthur Fils, officiellement en raison d’une douleur à l’épaule. “Parfois, ça marche, parfois ça ne marche pas mais ça ne changera jamais ma façon de penser. Je ne vais pas commencer à en mettre un peu moins selon le score, au contraire, car c’est là où je vais d’autant plus risquer de commettre une double. La double, elle fait partie du risque. Et je suis prêt à assumer ce risque jusqu’à la fin de ma carrière parce que je sais qu’au final, cela me rapportera plus de points que je n’en perdrai.”

Une identité de jeu extrêmement forte qu’il n’est pas facile à assumer, surtout à 21 ans. Et on a envie de rajouter : surtout en France où historiquement, le service n’est pas forcément le coup le plus mis en valeur, contrairement par exemple aux Etats-Unis, pays qui l’a révolutionné à plusieurs reprises par sa culture du lancer. Le débat récurrent quant au côté soi-disant ennuyeux d’un tel profil en est d’ailleurs une preuve. Giovanni, qui fait preuve sur le court comme en dehors d’une placidité et d’une maîtrise émotionnelle sans doute essentielles à la bonne maîtrise de ce tennis “ball trap”, préfère lui s’en amuser.

moi aussi, j’aimerais jouer comme Sinner ou Alcaraz. sauf qu’avec ma taille et mon poids, c’est difficile.

Giovanni Mpetshi Perricard.

“Moi, je prends du plaisir parce que je gagne des points. Le public, oui et non. Oui, parce qu’il voit des services à 240 km et il se dit : “son service, il va plus vite que ma voiture !” D’un autre côté, non parce qu’il n’y pas beaucoup d’échanges. Mais moi aussi, j’aimerais jouer comme Sinner ou Alcaraz. Moi aussi, à la base, j’aime faire des échanges. Même trop, parfois. Sauf qu’avec ma taille (2,03 m) et mon poids (102 kg), c’est difficile. Je bouge plutôt pas mal, mais je ne peux pas le faire pendant trois heures. Donc ce n’est pas vraiment de ma faute mais je suis obligé de l’assumer, parce que je suis différent des autres. Après, est-ce que cela révolutionnera le tennis ? Peut-être…”

La seule chose que Giovanni Mpetshi Perricard semblait ne pas avoir tout à fait tranchée à Bercy, c’est de savoir s’il irait comme prévu finir sa saison au Moselle Open la semaine prochaine. Où s’il se tournerait d’ores et déjà vers la saison 2025, pour continuer de fomenter sa tentative de putsch sur le tennis moderne.

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