L’Œil du Coach #85 : “Si Alcaraz a une petite ‘faiblesse’, je dirais qu’il est très émotif”

Patrick Mouratoglou a analysé la défaite de Carlos Alcaraz au troisième tour de l’US Open par une grande fatigue émotionnelle après son été colossal.

11 septembre 2024

“En plus d’avoir affronté un adversaire, j’ai dû me battre contre moi-même. C’était les montagnes russes dans ma tête, trop d’émotions non contrôlées.” Tels ont été les mots de Carlos Alcaraz après la correction (6-1, 7-5, 6-4), aussi inattendue qu’un ours polaire au Sahara, subie face à Botic van de Zandschulp au deuxième tour de l’US Open.

“Je ne suis pas surpris qu’il ait dit avoir eu toutes ces pensées trop difficiles à gérer, c’est exactement la conséquence de quelqu’un qui était émotionnellement épuisé”, a expliqué Patrick Mouratoglou dans le dernier épisode de L’Œil du Coach.

Cet été, le prodige Espagnol est d’abord devenu, à 21 ans, le plus jeune joueur de tous les temps à gagner trois titres du Grand Chelem sur autant de surfaces différentes, puis le plus jeune joueur de l’ère Open à réussir le doublé Roland-Garros – Wimbledon. Un dernier exploit que seul cinq mythes avait accompli avant lui : Rod Laver (1969), Björn Borg (1978, 1979, 1980), Rafael Nadal (2008, 2010), Roger Federer (2009) et Novak Djokovic (2021).

Celui qui avait déjà établi un record de précocité en montant sur le trône de l’ATP à 19 ans au lendemain de son premier sacre en GC – l’US Open 2022 – a ensuite enchaîné avec une finale des Jeux olympiques monumentale, perdue 7-6³, 7-6² contre un Djokovic complétant ainsi sa collection de titres majeurs. De quoi finir complètement vidé avant d’entamer la tournée nord américaine, où il s’est incliné d’entrée contre Gaël Monfils à Cincinnati avant de plier genou devant “VDZ” à New York.

Roland-Garros, Wimbledon et les J.O comptaient tellement pour lui qu’il a tout mis sur la table, émotionnellement, mentalement, physiquement.”

Patrick Mouratoglou

“Avant l’US Open, je sentais déjà qu’il (Carlos Alcaraz) luttait mentalement”, a ajouté “The Coach”. “Pas parce qu’il n’est pas bon ou qu’il a un problème, mais parce qu’un (tournoi du) Grand Chelem, c’est exténuant mentalement. Si vous regardez ce qu’il a accompli ces trois derniers mois, c’est incroyable. Mais je sais à quel point un tournoi du Grand Chelem est épuisant émotionnellement.”

“Il faut lutter contre beaucoup de choses, et au tennis, il s’agit beaucoup de se battre avec ses émotions, ses pensées pendant les matchs”, a-t-il détaillé. “Et pour ça, il faut être frais. Si vous n’êtes pas frais dans la tête, c’est de plus en plus difficile de réussir. C’est pourquoi j’ai dit, avant l’US Open, que je me posais des questions sur Carlos Alcaraz. Pour moi, son élimination n’a été qu’une demi-surprise. Je ne pensais pas qu’il perdrait en trois sets comme ça, mais je sentais qu’il était épuisé mentalement.”

Certains ont attribué l’élimination new-yorkaise de l’actuel numéro 3 mondial à une défaite dans la quête de la médaille d’or trop difficile à digérer. Les mêmes, sans doute, qui avaient expliqué, de façon un peu trop simpliste, sa fin de saison 2023 plus que moyenne, pour ses standards, uniquement par le revers face à Djokovic à Cincinnati suite à un match épique de 3h49 à ‘Cincy’. Une empoignade à l’issue de laquelle le natif d’El Palmar avait laissé échapper, comme à Paris, des sanglots témoins de sa grande émotivité.

“Cette défaite en finale des Jeux olympiques a été douloureuse pour lui, mais je ne pense pas que ce soit la raison”, a quant à lui analysé Mouratoglou. ” Je dirais plutôt que ces tournois – Roland-Garros, Wimbledon, les J.O. (également disputés en double avec Nadal) – comptaient tellement pour lui qu’il a tout mis sur la table, émotionnellement, mentalement, physiquement et tennistiquement pour se donner les moyens de les gagner. Et quand ça compte à ce point pour vous, émotionnellement, c’est éprouvant.”

Or, ce domaine a sans doute été l’unique légère faille montrée par le protégé de Juan Carlos Ferrero depuis son émergence au sommet du tennis. “Carlos est exceptionnel”, a rappelé l’ancien coach de Serena Williams. “Sur le plan du tennis, c’est l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur. Il a tellement de variations dans son jeu, il est bon partout, il n’a aucun défaut. Physiquement, c’est une machine. Ses déplacements, ses capacités physiques, ses qualités athlétiques sont irréelles.”

Dire que que l’essentiel est de s’amuser, c’est juste un moyen d’évacuer la pression. Carlos est là pour gagner. Mais il sait que pour gagner, il a besoin de s’amuser pour ne pas être tendu.”

Patrick Mouratoglou

“Mentalement, il est fort, on l’a vu gagner tellement de matchs sans être à son meilleur niveau”, a-t-il complété. “S’il a une petite ‘faiblesse’, je dirais qu’il est très émotif. Nous l’avons vu avoir des crampes plusieurs fois.” Notamment lors de la demi-finale face à Djokovic sur l’ocre de la porte d’Auteuil l’an passé, à la suite de laquelle il avait ouvertement expliqué avoir “crampé” à cause du stress.

“Pour contrôler leurs émotions, les personnes émotives doivent fournir un effort colossal”, ajouté l’homme ayant “PM” pour initiales. Depuis ses débuts sur le circuit, Alcaraz a répété à l’envi qu’il était avant tout primordial pour lui de sourire sur le court. Une astuce, aussi, pour tromper la tension qui pourrait venir appesantir, voire tétaniser ses muscles.

“Dire que le résultat n’est pas si important, que l’essentiel est de s’amuser : c’est juste un moyen d’évacuer la pression”, a commenté Patrick Mouratoglou. “Carlos est un compétiteur incroyable, il est là pour gagner. Mais il sait que pour gagner, il a besoin de s’amuser en jouant au tennis. Et il doit gérer ses émotions pour qu’elles le laissent vraiment prendre du plaisir, plutôt que d’être anxieux et tendu.”

“Sachant cela, je pense que son équipe devra réfléchir à un calendrier lui permettant de se reposer suffisamment, pas physiquement, mais mentalement”, a conclu le technicien français. “C’est très important pour son futur.” Un avenir qui devrait continuer à lui sourire de plus en plus grand en parvenant à prendre encore davantage le dessus sur ce fameux “adversaire intérieur”.

MOMENTS CLÉS

  • 0’01 : Alcaraz était épuisé mentalement avant l’US Open
  • 0’20 : Un tournoi du Grand Chelem est épuisant émotionnellement
  • 0’54 : La défaite aux J.O. n’est pas la raison de l’élimination d’Alcaraz à l’US Open
  • 1’17 : La “faiblesse” d’Alcaraz, c’est sa grande émotivité
  • 1’56 : Alcaraz a besoin de s’amuser pour gérer la pression
  • 2’15” : Alcaraz doit adapter son calendrier pour se reposer mentalement
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