Krejcikova, l’âme de Novotna : “Je rêve souvent d’elle”

Barbora Krejcikova a placé son sacre à Wimbledon sous le signe du souvenir de son ancienne guide, Jana Novotna, également victorieuse à Londres en 1998. Et qui incarnait comme elle la pureté technique du tennis tchèque.

Barbora Krejcikova Wimbledon 2024 trophée © Antoine Couvercelle / Panoramic

C’est l’une des images les plus marquantes de l’histoire de Wimbledon. Nous sommes le 3 juillet 1993, Jana Novotna vient de perdre une finale qui lui tendait les bras en s’écroulant après avoir mené 4-1, balle de 5-1 au troisième set face à Steffi Graf . Inconsolable de voir ainsi s’envoler, du moins le pensait-elle, le rêve de sa vie – qu’elle réaliserait finalement cinq ans plus tard, aux dépens de Nathalie Tauziat -, elle fondait en larmes lors de la remise des prix dans les bras de la Duchesse de Kent, laquelle brisait bien volontiers le protocole royal pour porter secours à cette jeune femme en détresse.

Trente-et-un an plus tard, Barbora Krejcikova a ressuscité le souvenir de la grande Jana en triomphant à son tour à Wimbledon, ce samedi, aux dépens de Jasmine Paolini. Entre-temps, le tennis féminin tchèque avait déjà frappé trois autres fois sur le Centre Court, grâce à Petra Kvitova (2011 et 2014) ainsi que Marketa Vondrousova en 2023. Mais ni l’une ni l’autre n’incarnait autant que Krejcikova l’âme, le souvenir et peut-être bien le style de la grande Novotna, par ailleurs finaliste à l’Open d’Australie 1991, plusieurs fois demi-finaliste à Roland-Garros et à l’US Open, mais aussi connue pour avoir perdu un match contre Chanda Rubin à Paris, en 1995, après avoir mené 5-0, 40-0 au troisième set.

Tout au long de sa campagne victorieuse londonienne, il n’y a pas eu un jour, peut-être pas une heure sans que Krejcikova ne pense à celle qui l’a guidée sur le chemin du professionnalisme, entre 2014 jusqu’à son décès en 2017, à 49 ans, des suites d’un cancer. Après sa demi-finale victorieuse contre Elena Rybakina, elle a, à son tour, fondu en larmes au micro à l’évocation de son souvenir. Après son titre, elle lui a encore rendu un vibrant hommage lors de son discours de remise des prix. Et environ la moitié de la conférence de presse qui a suivi a porté sur sa relation avec Jana.

Krejcikova a notamment raconté la genèse de sa relation privilégiée avec sa glorieuse aînée, originaire comme elle de Brno, en Moravie du Sud. “C’était au début de l’année 2014, je venais d’en terminer avec les juniors et je lui ai écrit une lettre dans laquelle je lui expliquais mon parcours et lui demandais si elle pouvait m’aider pour la suite”, a-t-elle raconté. “Ensuite, on s’est vu, on s’est entraîné ensemble et nous sommes restées en contact. Elle a très rapidement commencé à m’aider, et à consacrer beaucoup de temps pour moi.”

Je rêve souvent d’elle et dans ces rêves, nous nous parlons. J’aimerais beaucoup savoir ce qu’elle aurait à me dire après ce titre.

Barbora Krejcikova, sur Jana Novotna

Sans Jana Novotna, il n’y aurait peut-être pas eu de Barbora Krejcikova, du moins pas à ce niveau. Même si elle a évidemment – et malheureusement – pris depuis une dimension spirituelle, la connexion entre la maîtresse et son élève est toujours aussi forte aujourd’hui. “Je rêve souvent d’elle et dans ces rêves, nous nous parlons”, a encore raconté la désormais nonuple gagnante en Grand Chelem (simple et double confondus). “J’aimerais beaucoup savoir ce qu’elle aurait à me dire après ce titre. Je crois qu’elle serait super fière de moi, et super heureuse.”

Quand elle était enfant, Barbora Krejcikova était pourtant plutôt attirée par Roland-Garros. Elle a d’ailleurs aussi confié avoir récemment consulté un petit carnet qu’elle écrivait vers l’âge de 12 ans, et sur lequel elle avait listé son envie de triompher à Paris dans le futur, ce qu’elle a donc fait en 2021. Mais c’est Jana Novotna, encore, qui a ensuite orienté ses rêves vers Wimbledon. “Elle me racontait toujours plein d’histoires sur Wimbledon, sur les difficultés qu’elle avait connues pour gagner ce titre et sur l’émotion qui l’avait envahie quand elle l’a finalement fait. C’est à partir de là que les choses ont un peu changé et que je me suis mise à considérer Wimbledon comme le plus grand tournoi du monde.”

Sans avoir le même jeu que Novotna, qui avait un revers à une main et qui était davantage portée sur la volée voire le service-volée, symbole aussi d’une autre époque, Krejcikova partage toutefois la même technique cristalline, la même main de velours, la même pureté de frappe. L’héritage d’une école tchèque d’une manière générale, également personnifiée par Petra Kvitova ou Karolina Muchova, quoi que toutes deux un peu en retrait en ce moment pour des raisons différentes.

Un immense pays de tennis

Hommage aussi à Hana Mandlikova, seule Tchèque titrée à Roland-Garros, ou bien sûr Martina Navratilova, qui a certes fait l’essentiel de sa carrière sous la bannière américaine (ou en tant qu’apatride), mais peut-être mieux que quiconque représentatrice de l’immense culture tennistique d’un pays qui fut l’un des premiers en Europe à développer ce sport au XIXè siècle, après bien sûr l’Angleterre et la France.

Heureux pays en tout cas, qui règne depuis le début des années 2010 au palmarès féminin de Wimbledon. Et si Barbora Krejcikova est la septième joueuse consécutive à y triompher pour la première fois, il ne viendrait désormais à personne l’idée de penser que ce titre n’a ni passé, ni avenir.

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