Venus Williams a raison : il est grand temps que l’US Open en finisse avec ses sessions de nuit interminables
Jannik Sinner et Carlos Alcaraz ont terminé leur quart de finale programmé en deuxième match de la night session, à 2h50 du matin. Un record. Peut-être celui de trop.
Après un match qui, l’avenir le dira, fut peut-être le dernier de sa carrière à l’US Open, Venus Williams s’est ouverte ce qui, pour elle, était la chose qu’elle changerait sans hésiter une seule seconde sur le circuit si elle en avait le pouvoir.
“Si je pouvais changer une seule chose, ce serait le deuxième match des sessions de nuit”, avait ainsi répondu la double championne des lieux. “C’est un peu brutal, même très brutal.”
Celles et ceux qui ont regardé le quart de finale entre Carlos Alcaraz et Jannik Sinner mercredi dans la nuit seront sans aucun doute d’accord, même s’il y en aura, parmi les spectateurs présents dans les tribunes du court Arthur Ashe, pour s’être aussi délecté du spectacle.
Carlos Alcaraz acheva sa victoire face à Jannik Sinner à 2h50 jeudi matin après 5h15 d’une lutte passionnante entre deux joueurs qui risquent de se croiser souvent en Grand Chelem à l’avenir. Mais voilà désormais Alcaraz devant le souci suivant : récupérer pour sa demi-finale de vendredi face à Frances Tiafoe. Et même pour un joueur de 19 ans qui semble avoir de l’énergie à revendre, ce n’est pas gagné d’avance.
Les sessions au bout de la nuit nuisent à tout le monde, que ce soit les joueurs ou les fans
Au milieu des louanges suscitées par le niveau de jeu entre Alcaraz et Sinner – et, oui, c’était sensationnel – des voix se sont quand même élevées pour se plaindre d’un match finissant au beau milieu de la nuit avec toutes les conséquences qui en découlent.
Tout d’abord, cela va désavantager Alcaraz, qui doit maintenant trouver un moyen de récupérer au mieux. Il n’a certainement pas pu aller se coucher avant 6 heures du matin – pour la deuxième fois de suite – et, peu importe l’âge, ce n’est pas aisé de s’adapter à ce type de circonstance, encore moins en fin de saison et encore moins dans la dernière ligne droite d’un tournoi du Grand Chelem. Et même s’il devait récupérer correctement, la situation est injuste pour Alcaraz par rapport à Frances Tiafoe qui avait fini son match à 16h30 à New York, soit plus de dix heures avant l’Espagnol.
Les fans restés jusqu’au bout dans le stade ont sans aucun doute savouré le spectacle, mais comment sont-ils rentrés chez eux à 3 heures du matin ? En supposant qu’ils vivent ou soient logés à Manhattan, c’est minimum trente minutes de voiture pour rentrer sans embouteillage (avec embouteillage, ici, tout est possible !), depuis le stade à Flushing Meadows. Ceux qui dépendaient des transports en commun ont dû compter sur les trains encore en circulation, et ils ont mis encore plus longtemps pour rentrer chez eux. Et pour ceux devant rentrer hors Manhattan, ils ont passé un long moment sur la route avant de réussir à aller se coucher alors que c’était un jour de semaine. Seront-ils tous de retour au bureau jeudi ?
La télévision veut un show – mais pas un show trop long
Être en charge de la programmation n’est jamais chose facile, quel que soit l’événement. Il y a de multiples intérêts à prendre en compte, que ce soit ceux des joueurs ou bien la nécessité d’assurer l’équité de traitement de chaque côté du tableau. L’intérêt le plus puissant en général, et surtout aux Etats-Unis, c’est celui la télévision qui a payé des millions de dollars pour les droits de retransmission.
L’US Open n’est pas seul dans cette situation, évidemment. L’Open d’Australie programme également régulièrement deux matches en session de nuit sur la Rod Laver Arena et, en 2008, la rencontre du troisième tour opposant Lleyton Hewitt à Marcos Baghdatis s’était achevée à 4h34 du matin. Epuisé, Lleyton Hewitt n’avait plus rien eu à opposer ensuite à un jeune Novak Djokovic (en route vers son premier titre du Grand Chelem).
Les télévisions veulent le show, voilà pourquoi les plus gros matches sont programmés en prime time. Mais ce n’est pas pour autant qu’elles veulent un show qui s’éternise. Les chiffres d’audience de ce Alcaraz – Sinner après minuit pourraient être intéressantes à consulter. Il serait très surprenant qu’elles soient bonnes. Il ne faut pas non plus oublier le personnel de l’US Open qui doit faire des journées à rallonge, avec normalement un coût supplémentaire. Ils sont en plus, comme les médias d’ailleurs, censés être déjà de retour dans la matinée et en pleine forme pour assumer leurs tâches. On est loin du scénario idéal.
Programmer deux matches en soirée, c’est provoquer les problèmes
Le tennis est le seul sport qui, régulièrement, lance ses joueurs sur le court tard dans la nuit jusqu’au petit matin. Cela ne se produit pas dans le football américain, le baseball, le basketball ou le hockey ; ça n’arrive pas non plus en Europe en football, cricket, athlétisme, ou autres. Il y a sans doute de temps en temps une partie de snooker qui s’éternise mais c’est rarissime.
L’aspect le plus frustrant est que la solution est à portée de mains.
Comme l’a dit Venus Williams, programmer deux matches le soir avec un début de session à 19 heures, c’est chercher les problèmes. Mercredi, d’une certaine façon, l’USTA a eu de la chance que le match entre Swiatek et Pegula ne dépasse pas les deux heures. S’il avait été au bout des trois sets et plus proche des trois heures, Alcaraz et Sinner n’auraient sans doute pas terminé avant 4 heures du matin.
L’US Open a beau dire qu’il veut en donner aux gens pour leur argent, qu’un seul match ne serait pas suffisant, le tournoi doit désormais vraiment se poser la question de l’intégrité physique des joueurs et toutes les autres personnes concernées.
L’US Open devra bien changer si les critiques persistent
Tournois et instances sont, on le sait bien, souvent réticents au changement. Wimbledon a attendu jusqu’en 2007 pour offrir l’égalité du prize money en simple entre joueurs et joueuses.
Mais au final tout le monde par se bouger. Pendant des années, l’US Open a juré qu’il n’avait pas besoin d’un toit sur le Arthur Ashe Stadium, que ça coûtait trop cher. Mais cinq années de suite avec une finale le lundi à cause de la pluie ont changé la donne et, avec l’aide de la technologie, il est devenu possible d’installer un toit en 2016. Il y en a même un sur le court Louis Armstrong désormais.
Et puis il y a la programmation elle-même. Depuis 1984, les demi-finales masculines étaient prise en sandwich avec la finale des femmes dans ce qu’on appelait le “Super Saturday” : les fins très tardives étaient monnaie courante avec un vainqueur de la deuxième demi-finale contraint de revenir sur le court quelques heures plus tard pour la finale malgré une préparation largement amputée par rapport à celle de son rival.
Cela changea finalement en 2015, quand l’US Open décida de suivre le pas des trois autres tournois du Grand Chelem (en 2013 et 2014, les demi-finales avaient eu lieu le samedi et la finale le lundi). Le début du tournoi a longtemps connu un premier tour étalé sur trois jours mais a fini par se ranger à un format classique sur deux jours.
Quand les joueurs se sont enfin plaints suffisamment fort, les choses ont changé.
Finir au bout de la nuit ne donne pas de quoi se vanter
Les tournois se sont aussi rendus trop souvent coupables de glorifier ces matches se terminant au bout de la nuit, en célébrant ces records comme s’il y avait de quoi en être fiers. Roland-Garros, qui tâtonne depuis 2020 avec des matches de nuit, n’a pas osé le faire quand Nadal – Sinner en 2020 et Nadal – Djokovic en 2022 se sont achevés peu avant 2 heures du matin.
Jouer des matches au milieu de la nuit n’est bon pour personne, que ce soit les joueurs, les fans, les télévisions, les médias, les arbitres ou le personnel. Le temps du changement est venu. Un seul match en soirée suffit. Espérons que ce soit bientôt le cas.
Note : Tennis Majors a demandé à l’USTA si elle prévoyait de modifier leurs sessions de nuit. La réponse n’est pas encore arrivée.