Gilles Cervara sur le off-court coaching: « Je suis pour, mais ce n’est pas parce que l’entraîneur parle que le joueur est meilleur »
L’entraîneur du numéro un mondial Daniil Medvedev indique, dans un entretien à Tennis Majors, qu’il est favorable à la décision de l’ATP d’autoriser le off-court coaching, pour sortir d’une forme d’hypocrisie.
Gilles, comment accueilles-tu la décision de l’ATP d’autoriser à titre expérimental le off-court coaching, c’est-à-dire le droit pour un entraîneur d’aider son joueur en cours de match par les gestes ou la parole ?
J’y suis plutôt favorable, surtout pour casser cette hypocrisie ambiante et le manque de constance sur les sanctions. Parfois l’arbitre n’ose pas, puis il ose le lendemain pour un coaching moins voyant. Certains entraîneurs se prennent des amendes pour trois « allez » en cours de match. Ça n’était pas stable, pas cadré.
Est-ce une disposition que les entraîneurs et joueurs attendaient selon toi ?
Oui il y avait une attente. Si j’ai bien perçu les choses, la décision a été le résultat d’un consultation d’entraîneurs. J’ai été consulté par Daniel Vallverdu, qui était investi depuis des années d’une volonté de faire bouger les choses. J’ai indiqué qu’il fallait arrêter avec l’hypocrisie. Les coaches coachent, ils ont tous des mots et des gestes. Désormais, on autorise juste ce qui existe déjà, on valide la pratique.
Qu’est-ce que cela va changer d’après toi ?
Moins d’amendes, déjà. Mais sinon, pas grand chose justement. Car la règle ne permettra à personne d’avoir un vrai échange posé comme à l’entraînement. Cela dépendra de la distance entre le box et le court. Si le joueur peut entendre ou pas, puis de la pertinence de ce que dira l’entraîneur. Après, je suis certain qu’il y en aura pour tous les goûts. Dans le coaching, beaucoup de choses dépendent de la relation entraîneur – entraîné. Le tennis est un sport tellement intérieur que pour certains joueurs, un coach qui parle, c’est plus parasitant qu’autre chose. Ça m’est déjà arrivé de voir le coach de l’adversaire de Daniil coacher et de me dire intérieurement : « Continue, continue, ça a l’effet inverse, ça m’arrange. » Je ne généralise pas bien sûr.
Ça m’est déjà arrivé de voir le coach de l’adversaire de Daniil coacher et de me dire intérieurement : « Continue, continue, ça a l’effet inverse, ça m’arrange. »
Quand on parle de coaching off-court, on parle de communication verbale et non verbale. Dans quelle mesure est-elle spontanée ou très préparée ?
Les deux existent. Et encore, ce n’est pas toujours possible. Sur les grands courts par exemple, les box sont loin et les coaches sont inaudibles. Sinon, le contexte d’un match est tel que tu dois forcément préparer des codes, des gestes, des chose simples. Il s’agit de véhiculer un message en une seconde, tu ne peux le faire qu’en préparant un minimum. A côté de cela, il y aura toujours des moments qui correspondent uniquement à la réalité du match et qui sont improvisés.
Que penses-tu du contre-argument principal des personnes qui sont opposées à cette décision, selon lequel l’une des spécificités du tennis est de demander à un joueur de trouver la solution seul sur le court ?
Ça ne résonne pas trop chez moi. Tous les sports individuels sont des sports où les athlètes doivent trouver des solutions et où les coachent peuvent coacher, je ne vois pas pourquoi le tennis serait différent. Pourquoi, parce que c’est du tennis, l’entraîneur ne pourrait pas glisser un message quand son joueur est à quatre mètres de lui ? Je ne vois pas.
Qui prend l’initiative du coaching ?
Je dirais qu’en majorité, ce sera l’entraîneur, surtout s’il se sent désormais officiellement autorisé. Mais ça peut tout à fait venir aussi du joueur, qui va se sentir libre d’aller chercher ou de trouver de l’aide auprès de son entraîneur. Cependant, je pense que l’entraîneur devra faire attention et mesurer si c’est bon pour son joueur et si celui-ci en a vraiment besoin. Je ne suis pas certain que tous les coaches se poseront tous la question. Ce n’est pas parce que l’entraîneur parle que le joueur est meilleur. Encore faut-il que l’entraîneur donne la bonne information, au bon moment et de la bonne manière. C’est un art, parfois proche du funambulisme. De mon côté, je ne vais pas faire plus, je vais continuer à faire des choses pour m’accorder à ce que peut recevoir le joueur.
Encore faut-il que l’entraîneur donne la bonne information, au bon moment et de la bonne manière. C’est un art, parfois proche du funambulisme.
Quel est le niveau d’information maximal que peut faire passer un coach ?
Pour moi, très peu. La frontière est parfois floue entre le coaching et l’encouragement. Mais l’encouragement véhicule une énergie, donc c’est une forme de coaching. Je peux donner l’exemple de l’ATP Cup et de mon expérience auprès de la Russie. Et pourtant, à l’ATP Cup, on a 1 minute 30 au changement de côté. Or, c’est très peu, d’autant que tu ne peux pas passer ton temps à parler. Les joueurs ont besoin de temps pour eux, pour traiter les infos, ça demande un espace mental calme qui leur est réservé. Si tu parles en permanence, ça fatigue et ça perturbe. Je ne parle même pas de Daniil qui est un cas extrême, mais je me souviens avoir essayé de contenir le coach de Roman Safiullin qui voulait faire passer beaucoup plus d’infos que ce que le joueur pouvait traiter. C’est un dosage très fin.
Avez-vous, Daniil ou toi, été souvent sanctionnés pour coaching ?
Non. Sauf une fois à Cincinnati, où on avait failli l’être assez sévèrement, il y a quatre ans. C’état assez chaud entre lui et moi, un accroc de type Halle ce week-end. Sauf qu’on était sur les petits courts, que c’était plus facile pour moi d’avoir une réponse et qu’on était forcément moins sur la réserve que sur un grand court, où tu n’as pas envie de t’exposer à te chauffer avec ton joueur. En fait, notre discussion était interprétée comme du coaching alors que c’était plutôt le comportement qui était sanctionnable.
Quand tu quittes le court en plein match à Halle, ou à Melbourne 2021, ou à Cincinnati, cela part d’un coaching contesté ?
Non, ça se joue plutôt autour des dérapages de Daniil. Il perd simplement ses nerfs pour un détail ou parce que l’adversaire est meilleur, il ne se calme pas, et ça prend feu quoi. Quand ça va jusque là, c’est qu’il n’y a plus rien à faire, que le seul moyen d’améliorer les choses est de partir. Je pars aussi parce que je ne l’accepte pas.