Pourquoi, sur le papier, la blessure de Rafael Nadal est plus gênante que prévu dans la perspective de Roland-Garros
Rafael Nadal a l’habitude de construire ses succès à Roland-Garros avec une campagne de terre battue longue, garante de sa montée en puissance de 20 matchs au moins. Ce schéma semble compromis cette année.
Fissure de la troisième côte, côté gauche. Quatre à six semaines d’arrêt. Rafael Nadal va rater le début de la saison sur terre battue. Ses retrouvailles possibles avec Novak Djokovic à Monte-Carlo (9-17 avril) n’auront pas lieu. Les nouvelles données par son médecin sont plutôt encourageantes, et le plan consistant à voir les deux hommes pour la première fois dans un même tableau en 2022 pour Madrid (1-8 mai) et Rome (9-15 mai) avant Roland-Garros est, sous réserve de complications, réaliste.
Le palmarès de Rafael Nadal parle pour lui. Le treizuple (!!!) vainqueur de Roland-Garros a construit une image d’ogre de la terre battue, que son nombre de trophées sur ocre légitime en deuxième couche, avec 62 trophées sur les 91 de sa carrière. Avec la forme qui est la sienne cette année (trois titres, 22 victoires, 1 défaite), Nadal reste le favori pour une victoire à Paris,malgré sa défaite contre Novak Djkokovic en demi-finale l’an passé.
Quatre tournois avant Roland, son régime idéal
Dans le communiqué annonçant son absence, Nadal se dit « triste et atterré ». Les mots sont choisis : le numéro 3 mondial fait comprendre que ce n’est pas un simple contretemps. Il sait qu’il va manquer une partie absolument fondamentale de sa saison, celle pendant laquelle il rend possible le niveau de confiance et d’excellence qui lui permet d’arriver à Roland-Garros à son meilleur niveau. Il avait précisément décidé de ne pas jouer à Miami pour cette raison.
Les chiffres que nous avons collectés pour cet article sont édifiants. En dehors de 2020, saison tout à fait iconoclaste marquée par le premier confinement et six mois sans compétition, Nadal a toujours joué, depuis 2005 inclus, quatre ou cinq tournois sur terre battue. Autrement dit, 15 à 20 matches. En 2020 d’ailleurs, conscient de ce besoin, pour lui, de faire chauffer le moteur de façon progressive, il avait choisi de faire l’impasse sur l’US Open dont il était tenant du titre.
Une saison-type de Nadal sur terre battue est constituée de cinq tournois, le plus souvent Monte-Carlo, Barcelone, Madrid, Rome et Roland-Garros. Il a su avoir ce régime, entre avril et juin, 13 fois depuis 2005, pour 10 victoires à Roland-Garros à l’arrivée. Deux fois seulement, en 2006 et 2010, il s’est contenté de quatre tournois, ce qui ne l’a pas empêché de l’emporter.
Les défaites qui construisent les victoires
Le recul du temps efface ces souvenirs mais les saisons sur terre de Nadal n’ont que très rarement ressemblé à l’expression d’une supériorité écrasante. 2006 et 2010 sont les seules années où il a connu 100% de réussite (22 matches, 22 victoires). En dehors de ces crus, il a perdu – toutes années comprises, y compris celles où il n’a pas gagné à Paris – un match (8 fois), deux matchs (deux fois), trois matchs (trois fois), et même cinq rencontres, en 2015, l’année où Djokovic l’a battu pour la première fois à la régulière, en quart de finale.
Qui se souvient que, en 2014, il avait perdu contre David Ferrer, Nicolas Almagro et Novak Djokovic avant de réussir, Porte d’Auteuil, l’un des meilleurs « Roland » de sa vie ? Qui peut négliger que Nadal, en 2019, perdait sèchement contre Fabio Fognini et Dominic Thiem, puis à l’issue d’un combat plus âpre, contre Stefanos Tsitsipas, avant de trouver le bon régime à Rome ? « Vous vouliez un trophée ? En voici un », avait-il répondu aux journalistes qui s’inquiétaient pour lui.
Chez lui à Roland-Garros
Même aux plus hauts moments de sa carrière, Nadal a eu besoin de beaucoup jouer et de souffrir en compétition avant d’arriver à Paris dans la peau d’une « machine à gagner ». Même en 2020, la seule saison où il a dû se contenter, comme tout le monde, d’une préparation rapide, il a perdait contre Diego Schwartzman (à Rome).
Reste une dimension plus impalpable dans toute cette histoire : la capacité de Nadal à se sentir « chez lui » à Roland-Garros, à y prendre une autre dimension, à se comporter comme un propriétaire des lieux sur le Philippe-Chatrier, à dominer la bataille psychologique avant même le premier coup de raquette. En 2020, sur un terrain lourd et automnal qu’il redoutait beaucoup, cela s’était senti. Il en aura bien besoin en 2022.