Nadal-Alcaraz, les bonnes et les mauvaises raisons de les comparer

La légende et le grand espoir du tennis espagnol, Rafael Nadal et Carlos Alcaraz, s’affrontent ce samedi en demi-finale d’Indian Wells (vers 23 heures). Entre les deux hommes, la filiation paraît évidente. L’est-elle tant que ça ?

Carlos Alcaraz, Rafael Nadal, Indian Wells 2022 Carlos Alcaraz et Rafael Nadal lors d’un entraînement à Indian Wells en 2022 (Antoine Couvercelle / Panoramic)

“Depuis que nous avons commencé à travailler ensemble, un point est très clair pour nous deux : il est Carlos Alcaraz, point. Les comparaisons ne sont pas bonnes.”

Dans l’entretien qu’il avait accordé à Tennis Majors fin 2020, Juan Carlos Ferrero, l’entraîneur de la pépite de Murcie, avait tenu d’emblée à déminer le terrain : non, son joueur n’est pas l’héritier désigné de Rafael Nadal, encore moins sa copie version 2.0. L’ancien vainqueur de Roland-Garros a trop d’expérience pour ne pas avoir senti le piège gros comme une maison. Mieux valait éviter de se retrouver si vite à devoir porter le poids d’un tel fardeau.

Biberonné à ce discours légitimement protecteur, Carlos Alcaraz lui-même manque rarement une occasion de marteler, sans forcément convaincre grand-monde, que son jeu s’apparente plus à celui d’un Federer que d’un Nadal. C’est de bonne guerre. Mais le jeune Espagnol ne peut pas faire grand-chose pour masquer sa nationalité, pas plus que l’épaisseur de son biceps ou la noirceur de son regard broussailleux. Ni, bien sûr, sa maturité physique et émotionnelle assez hallucinante pour ses 18 ans (19 en mai) : qu’il le veuille ou non – et l’on comprend qu’il ne le veuille pas -, tout évoque chez lui qui-vous-savez.

https://twitter.com/NateWalroth/status/1501631163529523200

Nadal et Alcaraz s’entraînent ensemble

Les deux hommes, qui ont partagé avant le début du tournoi une séance d’entraînement pleine de testostérone, vont donc se retrouver ce samedi en demi-finale du BNP Paribas Open, en deuxième rotation après Fritz – Rublev, donc aux alentours de 23 heures françaises.

Jeudi, après son succès en quart face à Nick Kyrgios, Nadal lui-même l’a avoué : “Carlos me rappelle beaucoup de choses de quand j’avais 17 ou 18 ans. Il a cette passion pour le jeu et en même temps cette humilité pour travailler dur. Il a du talent et un gros physique. Vraiment, il a tous les ingrédients pour réussir.”

D’autant qu’il est, comme Nadal avec Moya, lui aussi cornaqué par un ancien grand champion espagnol des années 90 (Ferrero), qui l’a très vite pris sous son aile dans son académie Equelite, à Villena.

De toute façon, au-delà de son discours, Alcaraz ne fait rien pour se détacher de la trajectoire de son prestigieux compatriote. Sa performance en Californie pourrait lui assurer – sauf victoire finale de Taylor Fritz – d’intégrer le top 15 lundi prochain à 18 ans, 10 mois et 16 jours (il est né le 5 mai 2003), soit… un jour de plus que Nadal (né pour sa part le 3 juin 1986), qui en avait fait de même à 18 ans, 10 mois et 15 jours au lendemain de son sacre à Monte Carlo en 2005.

S’il a mis un peu plus de temps (tout est relatif…) que son illustre aîné pour gagner son premier match sur le circuit principal (16 ans et 9 mois à Rio 2020 contre 15 ans et 10 mois à Majorque 2002 pour Nadal), Alcaraz, depuis, marche clairement sur ses traces. Il avait pile le même âge (à huit jours près) lorsqu’il a remporté, à 18 ans et 2 mois, son premier titre ATP, à Umag, en juillet dernier. Pour Nadal c’était à Sopot, en août 2004.

Et il a donc également, toujours à quelques jours près, le même âge au moment d’atteindre sa première demi-finale en Masters 1 000, ici à Indian Wells. En 2005, Nadal en avait fait de même au tournoi de Miami, où il avait même poussé le bouchon jusqu’en finale, battu par Roger Federer après avoir mené deux sets à rien.

Alcaraz, quart de finaliste plus précoce

Il n’est pas exclu qu’Alcaraz, qui aura en revanche attendu moins longtemps que Nadal pour atteindre son premier quart de finale majeur (il était devenu l’an dernier, à 18 ans et 4 mois, le plus jeune quart de finaliste en Grand Chelem depuis Chang à Roland Garros en 1990), fasse mieux, d’ores et déjà, en Californie.

Il lui faudra déjà pour cela déboulonner l’idole, chose qu’il avait été très loin de faire l’an passé à Madrid, à l’occasion de leur première confrontation, remportée par Rafa 6-1, 6-2 le jour du 18e anniversaire du minot.

Rafael Nadal, Carlos Alcaraz, (© Antoine Couvercelle / Panoramic)

Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Rafael Nadal a certes entretenu sa légende et reste sur la lancée du plus beau début de saison de sa carrière, mais Carlos Alcaraz, de son côté, n’est plus le même joueur. Il a pris une stature immense qui semble grandir de semaine en semaine, et ce qui est fou, avant même que le match se joue, c’est qu’il n’est pas loin d’être donné favori par de nombreux observateurs.

“Je pense sincèrement qu’il peut le battre, estime ainsi l’ancien joueur français Julien Varlet, désormais coach à la French Touch Academy et consultant pour Canal Plus et Winamax. On sait que sur dur, il faut être capable de priver Nadal de temps. Korda a failli le battre en jouant comme ça. Et Alcaraz est tout à fait capable jouer comme ça aussi.”

Et c’est vrai que quand tu vois ça, tu de dis : p…, mais jusqu’où il peut aller ?

Julien Varlet, ancien 135e joueur mondial

L’ancien 135e joueur mondial a affronté Nadal à deux reprises en 2003 lorsque l’Espagnol était encore teenager, notamment au Challenger d’Aix-en-Provence où il lui avait pris un set. Pour lui, si Alcaraz n’a évidemment encore rien gagné de notable – son premier ATP 500 à Rio le mois dernier tout de même -, il est peut-être encore plus impressionnant au même âge.

“Quand j’ai joué Rafa, c’était déjà un champion au niveau de l’attitude, mais son jeu était encore très défensif, plus en force, j’ai envie de dire moins talentueux. Alcaraz est en avance dans la variation et la création de jeu. Il sert mieux, il fait plus de choses. En fait, il est très polyvalent : il a cette capacité à s’adapter à l’adversaire tout en étant fort et puissant. C’est peut-être ça le plus impressionnant chez lui. Et c’est vrai que quand tu vois ça, tu de dis : p…, mais jusqu’où il peut aller ?”

Personne ne le sait encore. Mais au-delà de sa main directrice (la droite), c’est cette filière de jeu plus agressive que Nadal au même âge qui le distingue clairement du Majorquin. Beaucoup voient en Alcaraz du Rafa, l’intéressé s’estime plus proche d’un Federer et certains y décèlent même du Djokovic dans sa rigueur du fond de court et l’approche très ascétique de son métier. Rien que ça !

La synthèse des qualités du Big Three

“Tout le monde s’emballe sur lui, c’est bien normal, car il est monstrueux et les gens sont en attente de la relève du Big Three, fait remarquer Julien Varlet. Or, Alcaraz, il synthétise un peu les qualités des trois dingues. Beaucoup de fans s’y retrouvent en lui. C’est sans doute le joueur du futur, tout simplement.”

On peut même d’ores et déjà dire du présent. Depuis sa défaite cauchemardesque contre Hugo Gaston lors du Rolex Paris Masters, où il avait été tout autant renversé par la malice du gaucher que par l’énergie du public de Bercy, le Martien de Murcie est devenu un roc intraitable. Il n’a plus perdu qu’un seul match : et encore, c’était au jeu décisif du cinquième set, face à Matteo Berrettini, au troisième tour de l’Open d’Australie.

Sa montée en puissance rappelle irrémédiablement celle de Rafael Nadal en 2005 qui, au même âge donc, avait joué la finale à Miami avant de tout exploser lors de la saison sur terre battue jusqu’à remporter le premier de ses 13 Roland Garros, à tout juste 19 ans. L’âge qu’aura donc Carlos Alcaraz en mai prochain…

De la à lui prédire une explosion similaire au printemps prochain sur une surface qui reste, sinon sa surface favorite, du moins celle qui est inscrite dans son ADN de joueur espagnol ? On n’en est pas là. Mais on n’en est pas loin…

La “petite” différence pour Alcaraz est qu’il devra composer avec la présence toujours très active du meilleur terrien de l’histoire, en plus de Novak Djokovic qui fera son retour sur ocre. Reste aussi une petite incertitude sur sa capacité à gérer mentalement et physiquement toute une quinzaine en trois sets gagnants, lui qui avait fini blessé sa campagne new-yorkaise l’an dernier.

Mais très sincèrement, le garçon grandit tellement vite qu’on n’est pas réellement inquiet sur ce point. Un premier élément de réponse devrait de toute façon tomber ce samedi à l’issue de cette confrontation fratricide. Car comme Alcaraz l’a reconnu, jouer Nadal, cela reste “une expérience très spéciale pour moi.” Et un match qui ressemble fortement à un rite initiatique. On n’ose dire à un passage de témoin.

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