L’ère Fedal touche peut-être à sa fin, c’est triste mais le tennis s’en remettra
Les blessures longue durée de Rafael Nadal et Roger Federer, sans être synonymes de retraite pour ces deux monstres sacrés, résonnent tout de même comme la fin d’une époque. Un coup dur pour notre sport, mais le tennis doit pouvoir s’en relever. Avec Djokovic et une jeune génération de plus en plus affirmée, il semble être dans de bonnes mains.
Ces deux-là sont décidément toujours liés, d’une manière ou d’une autre. Cinq jours après que Roger Federer a annoncé devoir subir une troisième opération du genou droit – et s’absenter pour une durée indéterminée -, Rafael Nadal a à son tour réservé à ses fans une mauvaise nouvelle ce vendredi : il met d’ores et déjà un terme à sa saison 2021, en raison d’une blessure chronique et persistante au pied gauche venue se rappeler à son mauvais souvenir lors du dernier Roland-Garros.
Cette double annonce, bien qu’assez attendue dans les deux cas, semble porter un coup fatidique à la glorieuse destinée conjointe des deux monstres sacrés du tennis mondial. Attention, ne nous faites pas dire ce que l’on n’a pas dit. L’expérience a montré qu’il ne faut jamais enterrer trop vite des champions de la trempe de Roger Federer et Rafael Nadal. Souvenons-nous notamment de la jurisprudence Open d’Australie 2017, où ils avaient fait le retrour fracassant que l’on sait après s’être – déjà – tout deux éclipsés lors de la fin de saison précédente.
Alors prudence, d’autant que jusqu’à preuve du contraire, aucun des deux n’a annoncé sa retraite. Ils ont plutôt, au contraire, exprimé leur profonde envie de revenir. Mais tout de même. Si le Suisse et l’Espagnol ont peut-être encore quelques belles lignes de leur hisoire à écrire, on peut au moins tenir pour certain qu’à respectivement 40 et 35 ans, ils ne domineront jamais le tennis mondial comme ils l’ont fait pendant quinze ans. C’est-à-dire entre 2004 et 2019, années de leur premier et de leur dernier affrontement (du moins à ce jour), même si leur période faste s’est véritablement concentrée entre 2005 et 2010.
Federer-Nadal, Fedal comme on dit dans le jargon, il faut tout de même rappeler ce que ça représente : 40 titres du Grand Chelem, dont 11 consécutifs entre Roland-Garros 2005 et l’US Open 2007 ; neuf finales du Grand Chelem, dont trois consécutives à Roland-Garros et à Wimbledon (entre 2006 et 2008) ; 519 semaines cumulées à la place de n°1 mondial, soit quasiment dix ans. Une diarchie impitoyable, mise en lumière par ce que l’on peut considérer comme la plus grande rivalité de l’histoire du tennis masculin, tant par la qualité de ses acteurs que par leur longévité et bien sûr leur opposition stylistique.
Mais au-delà des chiffres, c’est plutôt par ce qu’ils représentent d’une manière générale dans le monde du tennis, et du sport en général, que Federer et Nadal sont, et resteront, sans équivalent. Si d’autres, comme Björn Borg notamment – sans doute précurseur en la matière – avaient déjà déclenché l’hystérie des fans, jamais on avait vu deux champions déchaîner autant les passions auparavant. Le Suisse et l’Espagnol ne se sont pas contentés d’élever leur sport à des hauteurs jamais vues : ils l’ont aussi considérablement développé sur le plan marketing et populaire.
Leur absence, puisqu’elle arrivera bien un jour, laissera un grand vide. Y compris chez des joueurs de leur génération auxquels ils auront pourtant en grande partie bouché l’horizon, ainsi que le disait Benoît Paire vendredi, après sa défaite contre Andrey Rublev à Cincinnati : “Ils vont me manquer, c’est sûr. J’adore les jeunes de la nouvelle génération, mais il faut reconnaître qu’ils ne suscitent pas la même effervescence. Avec Federer et Nadal, comme avec Djokovic, les gens sont comme des fous. Les affronter, c’est compliqué. Quand tu rentres sur le court, il n’y a pas un bruit et quand eux arrivent derrière, c’est une standing-ovation de folie. Là, j’ai joué contre Rublev et au niveau du public, c’était du 50-50… Ils ont fait tellement de bien au tennis que ça va être dur de les remplacer. “
Avec Djokovic, le tennis a un patron solide
Il le faudra bien, pourtant. On ne sait pas si le tennis est encore tout à fait prêt à cela, mais en attendant, il n’est tout de même pas orpehlin d’une figure tutélaire : avec Novak Djokovic qui a fermement repris le leadership (depuis un moment déjà), il est entre les mains d’un patron aux reins plus que solides. Pour combien de temps, c’est une autre histoire. Il n’empêche que pour l’instant, il y a clairement un pilote dans l’avion, et c’est le plus important.
Et puis, à mesure que l’ombre de Fedal s’éclipse doucement, on a le sentiment que la jeune génération s’affirme de plus en plus. Longtemps attendue, la NextGen emmenée par les Daniil Medvedev, Stefanos Tsitsipas ou Alexander Zverev (dans l’ordre que vous voulez) ne connaît plus guère de trous d’air. Il ne leur manque qu’un titre du Grand Chelem pour s’installer définitivement dans le cœur des gens. Cela ne saurait tarder. Et les plus jeunes encore, Jannik Sinner bien sûr, mais aussi Carlos Alcaraz ou Lorenzo Musetti, ont déjà commencé à pointer le bout de leur nez. Eux non plus ne semblent pas dénués de charisme.
Le tennis reste plus grand que ses plus grands champions
Tout cela peut augurer d’un futur excitant, avec des rivalités qui vont progressivement s’installer dans le temps, épicées par des personnalités potentiellement plus piquantes, sinon plus clivantes. Là-dessus, l’ère Fedal, paroxysme de la politesse et des bons sentiments, n’a pas eu que des bons côtés. Notamment pour les amateurs de trash-talk ou de déclarations plus engagées, comme celle récemment de Stefanos Tsitsipas sur la vaccination, qui lui valu une volée de bois vert, y compris de la part du gouvernement grec.
Après sa victoire expéditive face à Pablo Carreno Busta vendredi en quarts de finale à Cincinnati, Daniil Medevedev se voulait d’ailleurs optimiste sur la suite, sans nier la difficulté de devoir porter le flambeau au relais de pareilles figures de proue : “Est-ce que je ressens cette responsabilité de devoir porter le tennis après Federer et Nadal ? En fait, je ressens surtout une responsabilité par rapport à moi-même. J’ai envie de gagner les plus grands titres. Effectivement, je ne gagnerai peut-être pas 20 Grands Chelems. D’ailleurs, il est possible que plus personne ne le refasse un jour. Mais en même temps, personne ne l’avait fait avant non plus. Et pourtant, le tennis était très populaire quand même.”
L’extinction prochaine de l’ère Fedal, et plus globalement du Big Three et même du Big Four, puisqu’Andy Murray semble également jeter ses derniers feux, ouvrira par ailleurs une autre ère, sûrement plus ouverte, ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose. Ce sera aussi l’occasion de se recentrer sur le jeu, et ne de plus voir le tennis par le seul prisme de la sempiternelle course au GOAT. Ce qui, convenons-en, aura également été un effet pervers de cette ère dorée.
Alors oui, bien sûr, la perte de Federer et de Nadal sera évidemment une mauvaise nouvelle pour notre sport. Mais le tennis s’en relèvera, de la même manière qu’il s’est toujours relevé de la perte de ses plus formidables ambassadeurs. Pour la simple raison, du moins veut-on le croire encore, que le tennis sera toujours plus grand que ses plus grands champions. Quelle que soit la noirceur du crépuscule, il y a toujours un lendemain.