Du traumatisme de 2019 au chef-d’œuvre de 2021 : le nouveau Tsitsipas raconté par son staff
Stefanos Tsitsipas, demi-finaliste de l’Open d’Australie 2021, a construit sa victoire en quart de finale contre Nadal sur sa haine de la défaite et la promesse faite à lui-même de ne plus sombrer contre les meilleurs joueurs du monde.
Pour comprendre l’épatante de victoire de Stefanos Tsitsipas contre Rafael Nadal en quart de finale de l’Open d’Australie 2021, il faut remonter à la blessure initiale. Celle de l’Open d’Australie 2019. Même lieu, même adversaire. Le jeune Tsitsipas, vainqueur d’un huitième de finale au couteau contre Roger Federer, avait été pulvérisé par Rafael Nadal en demi-finale. 6-2, 6-4, 6-0. Un K.-O. Et une humiliation brutale pour l’un des plus grands espoirs du tennis mondial, ramené à beaucoup d’humilité contre un vainqueur de dix-sept Grands Chelems.
Trois mois après, à Monte-Carlo, Tsitsipas avait avoué se sentir encore sous le joug de cette humiliation. Plus jamais ça, s’était-il promis, comme s’en souvient Kerei Abakar, directeur du haut niveau à l’académie Mouratoglou.
« A peine entré d’Australie, il m’avait dit : ‘ramène moi des gauchers, je ne veux plus jamais que ça arrive’. Il voulait trouver le moyen de contrer un adversaire qui te fixe sur ton revers avec son gros coup droit, qui a un super slice, de bien retourner pour ne pas se retrouver en défense à l’échange. Il était déjà en réflexion pour trouver un moyen de battre les plus forts. Aujourd’hui il a trouvé les clés. Il a passé un cap. »
Demi-finale vendredi contre Medvedev
Deux ans après, au prix de progressions importantes dans tous les domaines, Stefanos Tsitsipas est en situation de se rapprocher de son rêve en Grand Chelem, ce qui passera par une victoire en demi-finale contre Daniil Medvedev vendredi (9h30).
« Le match contre Nadal est à l’image de sa progression, nous dit Patrick Mouratoglou depuis l’Australie. Il avait pris trois petits sets en 2019. Il était parti pour prendre trois petits sets encore mercredi. Le déroulé du match nous dit quel joueur il est en train de devenir : il a su à la fois ne pas baisser les bras et trouver des solutions dans le troisième set. Pour renverser ce type de match, ce qui est extrêmement rare et difficile, il faut avoir des certitudes sur soi, sa capacité à faire. Et ça se construit. Il l’a fait avec des victoires, des réussites, comme la victoire au Masters 2019 et la demi-finale à Roland-Garros 2020. »
Apostolos Tsitsipas, père et entraîneur de Stefanos, est l’homme qui croit au potentiel de son fils depuis le premier jour. Malgré une relation parfois orageuse en public, Apostolos a façonné ce joueur hors norme avec le concours de Patrick Mouratoglou, qui a mis à son service deux de ses hommes de confiance, Kerei Abakar et Frédéric Lefebvre.
« J’ai toujours pensé qu’il pouvait gagner un majeur, pourquoi pas celui-ci ? interroge Apostolos Tsitsipas. Ce qui compte, ce n’est pas d’y croire, c’est qu’il est désormais prêt mentalement, prêt physiquement, et que tennistiquement il est plus juste et précis qu’il ne l’a jamais été. Il suffit de deux matchs désormais. »
« L’une des différences avec 2019, c’est qu’il a maintenant 22 ans et plus 20, poursuit Apostolos. C’est un homme, maintenant. Il a gagné en puissance et surtout en maturité personnelle. L’expérience accumulée lors des matches contre ces fameux top players (les joueurs du Big Three, ndlr) a été décisive. Stefanos est un excellent ‘collecteur d’expériences’, si je peux dire les choses ainsi. Il en a battu, il a perdu parfois, mais il a puisé énormément d’éléments à chaque match. »
Il est prétendant au titre et assume ce rôle
Ce qui frappe depuis cet automne et sa demi à Roland-Garros, c’est l’écart entre le Tsitsipas encore affaibli par le stress de sa volonté de bien faire et battu par Borna Coric au 3e tour de l’US Open, et celui capable de remonter un handicap de deux sets contre Djokovic (pour une défaite après blessure à la cuisse) puis contre Nadal (pour la plus grande performance de sa carrière).
« Chaque défaite le touche très profondément, et c’est pour ça qu’il est aussi fort, illustre Kerei Abakar. Stef est quelqu’un de très orgueilleux et exigeant avec lui même. Il se remet en question et il ne veut plus jamais que ça arrive. Il a déjà battu le Big Three, il sait qu’il les a dans la raquette. Donc maintenant, c’est mental, il faut être plus fort qu’eux dans les moments importants. Il y croit bien plus qu’avant, il ne se met pas en-dessous d’eux. Il se dit : ‘c’est à mon tour’ »
« Lorsqu’il a battu Federer à l’Open d’Australie en 2019, je ne pense pas qu’il se disait qu’il faisait partie de l’élite. Maintenant, je pense que si. Il sait qu’il est un prétendant au titre et il assume ce rôle. »
Patrick Mouratoglou confirme que ce qui est clair pour lui depuis longtemps l’est désormais pour le Grec lui-même :
« Il sent qu’il fait partie de ces joueurs-là, de ce groupe des meilleurs du monde, et qu’il a le droit de gagner, même contre Rafa alors qu’il est, au départ, sur-dominé. Il a cette capacité à battre les meilleurs depuis deux ans, mais son niveau minimal n’est plus un problème car il a trouvé comment, stratégiquement, mettre en œuvre son tennis même dans un mauvais jour. »
Tsitsipas, “athlète hors norme” (Mouratoglou)
Et puis, il y a cette bête physique, dotée de « qualités de recupération exceptionnelles » (Abakar) et façonné depuis bientôt quatre ans par Frédéric Lefebvre pour ces combats du très haut niveau. “C’est un athlète hors norme, qui a une qualité de déplacement phénoménale pour un joueur de sa taille” (1m93), résume Patrick Mouratoglou.
« Je l’ai récupéré au lendemain de son quart de finale de 4h05 contre Nadal. Il n’avait pas l’ombre d’un début de courbature », témoigne Fred Lefebvre.
« Quand Patrick m’a demandé de travailler avec lui et que je l’ai vu jouer pour la première fois, j’ai pensé : ‘Il peut être Top 5, et rapidement, mais il y a du boulot physiquement.’ Il pesait 77 kilos (89 aujourd’hui, ndlr) donc il fallait faire beaucoup de renforcement. Il y avait aussi beaucoup de choses à travailler dans le déplacement : il n’était pas aussi bien ancré, équilibré, puissant, endurant qu’aujourd’hui. Le but était surtout de lui permettre d’enchaîner les matches et les entraînements sans se blesser car il joue énormément. On n’a jamais eu un seul pépin physique qui l’a conduit à abandonner. Il y a juste eu cette alerte musculaire à la cuisse à Rome en 2020. »
« Le Stefanos du début et celui d’aujourd’hui, ce sont deux personnes différentes, poursuit Lefebvre. L’entraînement, le vrai entraînement, il ne savait pas vraiment ce que c’était. Stefanos est un matcheur, il est fait pour la compétition. A l’entrainement, tennistique ou physique, son comportement était différent. Ça a changé parce qu’il a vu très rapidement que ça payait, donc je n’ai pas eu à le convaincre. Sa progression au classement a d’abord été très liée au physique : 192e en 2016, 82e en 2017, 15e mondial fin 2018. Cette année, on a fait une superbe pré-saison (Dubaï 15 décembre- 15 janvier). Il s’est “mis cher”, il s’est donné à 100%. »
Stefanos Tsitsipas avait confié à Alizé Lim, au printemps dernier, qu’il avait décidé de moins évoquer publiquement son rêve de Grand Chelem, par crainte d’une pression trop improductive. Ses performances l’y ramènent désormais.
«La victoire contre Nadal, c’était un grand pas, mais juste un pas de plus, car il en reste plusieurs devant nous, conclut Apostolos Tsitsipas. Nous sommes tous des êtres imparfaits, notamment les joueurs de tennis et leurs peurs récurrentes, qu’on ne peut pas toujours expliquer. Pour les joueurs de cette génération, affronter Nadal, Federer and Djokovic, c’est affronter les idoles de leur enfance. Quand une partie de vous se dit ‘c’est incroyable pour moi de les jouer’, vous baissez la garde inconsciemment. Jusqu’au moment où vous assumez cette responsabilité, où vous sentez que c’est votre tour. »
Battre Medvedev, invaincu depuis 19 matchs, puis Djokovic, c’est un défi à la mesure du nouveau Stefanos Tsitsipas.