Garcia a sauté le pas : La séparation père-fille, un processus quasiment inéluctable
Dans un entretien accordé à l’Equipe ce mercredi, Caroline Garcia a annoncé qu’elle ne travaillerait plus aux côtés de son père, qui était son entraîneur depuis toujours. Une séparation forcément douloureuse, mais peut-être nécessaire. Et en tout cas, on s’en rend compte, souvent inéluctable.
C’est la fin d’une belle aventure pour Caroline Garcia. Presque un conte de fées. En tout cas un parcours inespéré. Celui d’une petite fille de Bron, dans la banlieue lyonnaise, et de son papa, Louis-Paul, partis de pas grand-chose pour arriver ensemble, main dans la main, à la 4e place mondiale, atteinte en 2018 sur la lancée d’une fin de saison 2017 en boulet de canon.
Cette année 2017, marquée par un quart de finale à Roland-Garros, des titres à Wuhan et Pékin et une demi-finale au Masters, aurait dû être la rampe de lancement ultime dans son inexorable conquête des sommets. Là où beaucoup de monde la voyait arriver un jour. Elle reste au contraire, pour l’instant, le point d’orgue de sa carrière.
Garcia : “Par rapport à ma carrière et ma vie de femme, c’est une évolution naturelle”
Depuis, beaucoup de désillusions, de blessures et de vague à l’âme pour la Française, aujourd’hui sortie du top 50 et qui n’a pas joué depuis Miami en raison de nouveaux soucis, cette fois à un pied et à un genou. Devant la minceur de sa feuille de résultats récemment, contrastant avec l’épaisseur de son dossier médical, voilà longtemps que ses supporters réclamaient du changement, un électrochoc, et plus concrètement une séparation avec son père, vers lequel s’était cristallisé un certain nombre de critiques.
L’ancienne N°1 française a toujours fait part de ses réticences vis-à-vis d’une décision aussi radicale envers celui qui l’a emmené si près de son rêve. Et puis, à 27 ans, elle a fini par faire le grand saut, comme elle l’a annoncé dans une longue interview à L’Equipe ce mercredi. “Depuis deux ans, les objectifs ne sont pas atteints. C’est forcément difficile car on a continué à travailler dur. Il y a toujours un petit truc qui ne passe pas (…) Par rapport à ma carrière et ma vie de femme, c’est une évolution naturelle. Avec le repos forcé, j’ai eu un peu plus de temps pour me poser et organiser la structure en détail. J’ai réfléchi, j’ai pesé le pour et le contre. Si je l’ai fait, c’est que je suis prête. J’ai envie d’aller chercher des grands titres (…) Aujourd’hui, je suis plus sûre de moi, j’ai plus confiance en moi, c’était peut-être le bon moment pour cette évolution.”
Garcia va s’établir pour quelque temps au sein de l’académie de Rafael Nadal à Manacor, où elle a pris l’habitude de séjourner régulièrement depuis un an et demi.
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Pour la saison sur terre battue au moins, qu’elle attaquera la semaine prochaine lors du WTA 1000 de Rome, la Lyonnaise sera épaulée, au sein de l’académie, par un coach qu’elle connaît particulièrement bien : l’Espagnol Gabriel Urpi, qui l’était l’entraîneur de l’équipe de France de Fed Cup lorsqu’elle avait fait ses premiers pas dans cette compétition, en 2013, sous le capitanat d’Amélie Mauresmo.
Une décision pas simple, pour Garcia comme pour son père
Dans ce grand saut dans l’inconnu, celle qui a fini par gagner la Fed Cup en 2019 a besoin de rester attachée à des repères stables, et c’est le cas avec Urpi ainsi qu’à l’académie Nadal, où ses racines espagnoles l’ont peut-être aidée à se sentir tout de suite à l’aise. “Il y a une continuité car je vais vers quelque chose que je connais (…). Quand on a commencé à venir à l’académie, c’était une décision commune avec mon père. Aujourd’hui, c’est ma décision.”
Les Garcia ont en effet toujours été ouverts à des collaborations extérieures, dans tous les domaines. C’était même devenu leur mode de fonctionnement privilégié. La grande différence, c’est que Louis-Paul restait le manager principal du projet, ainsi qu’il se définissait. Désormais, c’est sa fille qui en aura seule le leadership.
Et l’on imagine que la décision n’a pas dû être simple ni pour l’un, ni pour l’autre, comme la joueuse l’a aussi évoqué dans L’Equipe. “C’est difficile pour tous les deux. Ce n’est pas une décision neutre, c’est un changement important, mais c’est ce que je ressens. (…) J’ai essayé de lui expliquer, du mieux que je pouvais, avec mes mots. Mon père reste mon père et il y a toujours beaucoup d’amour. (…) Passer d’une petite fille qui ne savait pas jouer à 4e mondiale, c’est une carrière extraordinaire pour un coach.”
Les précédents Williams, Pierce, Bartoli et bien d’autres…
Mais aussi douloureuse soit-elle, cette séparation père-fille est quasiment inéluctable, à en juger les exemples, nombreux, qui ont eu cours dans le tennis féminin. L’un des plus fameux est celui des sœurs Williams, dont le papa les a emmenées au sommet avant de laisser le relais à d’autres, notamment Patrick Mouratoglou pour Serena. Et un (autre) des plus récents est également celui de Sofia Kenin, qui a également décidé de cesser sa collaboration avec son père.
Le tennis féminin français a d’ailleurs été largement marqué par des associations dans le genre. Dont certaines ont très mal tourné, à l’instar des cas de Mary Pierce ou Aravane Rezaï, contraintes à un moment de leur carrière de fuir un père devenu tortionnaire.
Sans aller jusque-là, on peut bien sûr aussi citer l’exemple de Marion Bartoli, façonnée de A à Z par un père totalement autodidacte avant de signer le chef-d’œuvre de sa carrière, à savoir sa victoire à Wimbledon en 2013, quelques mois après avoir justement pris ses distances avec lui. Une coïncidence forcément révélatrice de quelque chose, même si elle n’enlève en rien les mérites de Walter Bartoli.
Et puisqu’on parle de coïncidence, rappelons que l’année de son sacre londonien, Bartoli travaillait aux côtés de Thomas Drouet, celui-là même qui vient d’être appelée au chevet d’Océane Dodin, autre joueuse française épaulée par son père depuis ses débuts.
Tel est peut-être simplement le cours naturel des choses. Le rôle d’un parent est d'”élever” son enfant. Ce qui, au sens étymologique du terme, revient à tout mettre en œuvre pour l’emmener le plus haut possible, dans les meilleures conditions, afin qu’il puisse un jour voler de ses propres ailes, en toute autonomie.
Prendre définitivement son envol : tel est donc, à 27 ans, la volonté profonde de Caroline Garcia. On ne peut que la comprendre et la respecter, ce qui ne revient en rien à renier ce qu’a fait son père jusque-là. Et l’on ne peut que lui souhaiter, désormais, d’atteindre les altitudes que son immense potentiel technique et athlétique doit lui permettre de tutoyer.