Mouratoglou : “Nous écrivons l’histoire de l’UTS, et j’espère celle de notre sport”
La première édition de l’UTS aura été une réussite. Dans une interview accordée à Tennis Majors, Patrick Mouratoglou, le co-créateur de la compétition, se félicite du succès de sa formule. Il aspire encore à mieux.
Êtes-vous satisfait après cette première édition de l’UTS ?
Je suis très heureux. Au début, l’UTS n’était qu’une idée. L’idée est devenue une réalité, et la plupart du temps, il y a une grosse différence entre ce que vous aviez imaginé, et la réalité. A l’UTS, ça n’a pas été le cas. Mais il y avait beaucoup d’interrogations. Est-ce que les joueurs allaient apprécier le format ? Allaient-il apprécier d’être amenés à faire des choses qu’ils n’ont jamais l’habitude de faire ? Comme réaliser une interview lors du changement de côté, ou bénéficier de temps morts avec leur entraîneur pendant le match.
Je ne savais pas comment les joueurs allaient gérer cela. Mais ils ont adoré. Ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Certains ont déjà précisé vouloir revenir jouer l’UTS. Et même le plus tôt possible. J’ai reçu beaucoup de bons retours. Bien sûr, il y a beaucoup de choses que nous pouvons améliorer. Mais pour une première édition, c’est très prometteur. Le but majeur était de construire ce à quoi le tennis peut ressembler dans le futur.
Quelles ont été les différences entre ce que vous aviez imaginé et ce qu’il s’est passé ?
Il n’y en a pas eu beaucoup. Je suis content de cela. Plus le temps est passé, plus les joueurs se sont libérés. Le début a tout de même été un peu poussif pour eux. La formule est très différente de ce qu’ils connaissent sur le circuit depuis 10 ans, presque 20 ans pour certains. Ils y ont pris des habitudes. Celles de rester fermés, de ne pas exprimer leurs émotions, de ne rien partager avec personne. Ça a été un peu un choc pour eux au début de l’UTS. Mais vous avez pu vous apercevoir qu’ils ont essayé de se libérer et de savourer le format. Quand j’observe (Richard) Gasquet qui frappe la chaise de l’arbitre avec son pied… c’est quelque chose que je n’ai jamais vu de sa part dans toute sa carrière ! Je me suis dis : « Il s’est enfin libéré de ce système cloisonné, et c’est génial. »
L’un de vos objectifs est de redéfinir le tennis. Dans quelle mesure êtes-vous capable de réaliser cela ?
L’un des objectifs est de définir ce que pourrait être le tennis à l’avenir, en considérant la façon dont le public va consommer ce sport dans le futur. Nous nous apercevons que leur durée d’attention diminue avec le temps. Elle est plus restreinte qu’auparavant. Les gens n’ont plus le temps. Et nous devons donc être en mesure de fournir une expérience vraiment intense, dans le contenu, dans l’émotion, et la qualité. Tout cela dans un temps réduit. Je pense que nous avons tenu notre promesse. Il y a eu une grande dose d’émotions dans un temps très réduit. Cette formule est une nouvelle façon de consommer le tennis. La question que je dois me poser désormais est : « Est-ce que jouer pendant une heure n’est finalement pas toujours pas trop long ? »
Le format de l’UTS est-il le plus approprié pour un “nouveau tennis” ?
Personne de l’UTS n’a annoncé que ce que nous allions montrer serait le tennis du futur. Nous avons dit que nous voulions présenter quelque chose de différent. Nous savons que tout n’est pas parfait. Mais c’est déjà très intéressant. Beaucoup de choses nous prouvent que nous sommes sur la bonne voie. Par exemple, la moyenne d’âge de notre public est de 30 ans. Celle du tennis est de 61 ans ! C’est un signe. 50 % de notre public n’est pas fan de tennis, et c’était le but. L’objectif était de ramener de nouvelles personnes. Des gens qui n’ont jamais regardé le tennis.
Pensez-vous que vous pouvez encore réduire le temps jeu lors des matches ?
Je ne sais pas encore quelle est la durée idéale. Je ne veux pas que les gens s’ennuient. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre l’attention des gens lorsqu’ils sont demandeurs d’un spectacle. Peut-être que la durée d’un match la plus idéale est d’une demi-heure plus que d’une heure. Cela permettrait aux joueurs de jouer deux matches dans la journée. Nous partons d’une feuille blanche. Nous écrivons l’histoire de l’UTS, qui, j’espère, sera l’histoire de notre sport. La seule façon de le savoir est d’essayer des choses, car le public a la réponse, pas nous, les organisateurs.
Quels sont les meilleurs moments pour les gens qui regardent ?
Le meilleur moment est sans aucun doute les interviews aux changements de côté (entre les quarts-temps), parce que je pense que les commentateurs (Pete Odgers et Jenny Drummond) font un travail formidable. C’est intéressant car les joueurs expliquent comment ils se sentent. Vous pouvez entrer dans leur tête. C’était l’un des objectifs. Les temps morts sont aussi très bien grâce à l’interaction entre le joueur et son entraîneur. A l’UTS, le tennis ne se cantonne pas à deux joueurs qui tapent une balle de tennis. Il y a beaucoup d’histoires cachées, avec d’autres acteurs que les joueurs. Il y a les deux joueurs sur le court, bien sûr, mais aussi le comportement de l’arbitre, des entraîneurs et des commentateurs. Toutes ces personnes font partie du spectacle.
« Tout est trop policé dans le tennis »
Quels sont vos trois meilleurs moments ?
J’ai adoré Benoît Paire, qui s’est montré vraiment amusant, sans se prendre au sérieux. C’est une bonne chose. Vous ne voyez jamais cela dans le tennis. Tout est trop policé. Bien sûr, la victoire compte plus que tout, mais les joueurs doivent aussi être disposés à faire partie d’un spectacle. Je me rappelle du comportement de Novak Djokovic au début de sa carrière, quand il était dans la chambre d’appel avant les matches. Il s’amusait des autres joueurs, il les imitait. Nous avons observé la même chose avec Benoît Paire à l’UTS.
What he intends to do to “The Wall” 👇
The @benoitpaire entertainment started before he event got on the court tonight 😂#UTShowdown pic.twitter.com/2QEyYX7p7u
— UTS | Ultimate Tennis Showdown (@UTShowdown) July 5, 2020
J’ai aussi adoré l’accrochage entre Corentin Moutet et Stefanos (Tsitsipas). Un peu de friction, c’est aussi une bonne chose. J’ai aimé que Corentin exprime sa frustration. Il était authentique. J’ai aussi aimé que Stefanos défende son père (Apostolos) à ce moment là. Vous n’avez jamais vu cela sur un court de tennis. Bien sûr, j’ai aussi apprécié les moments de tennis que nous avons vécus pendant les matches.
Savez-vous combien de personnes ont regardé l’UTS ?
Nous ne savons pas encore précisément combien, mais il est sûr que des millions de personnes ont regardé l’UTS. Nous n’avons eu les chiffres que d’une seule chaîne lors d’un seul week-end, et ils atteignaient déjà plus d’un million. L’UTS est implanté dans 100 pays. Avec les cinq week-ends de compétition, nous pouvons dire que plusieurs millions de personnes ont regardé le tournoi. Je ne connais pas les chiffres exacts. Nous les obtiendrons bientôt.
« Il n’y a pas de mal à être frustré »
Les joueurs se sont montrés plus libres sur le court. Etaient-ils effrayés au début ?
Je savais que ce serait un défi pour eux. Je pense qu’il l’ont ressenti comme cela. Mais j’ai aimé qu’ils n’aient pas surjoué. Personne n’a sur-réagi. Tout le monde a été soi-même. Et nous avons sans doute vu un autre côté de leur personnalité parce qu’ils se sont sentis plus libres d’exprimer leurs sentiments. Je pense qu’ils ont apprécié cette expérience. Même un joueur comme Richard (Gasquet), qui est réputé pour être quelqu’un de calme sur le court. Au bout du compte, nous sommes tous des êtres humains. Nous avons tous des émotions qui nous définissent.
Partagent-ils votre sentiment que le tennis a besoin de changement ?
Je ne sais pas si les joueurs pensent que le tennis a besoin d’être changé ou pas. Il y a beaucoup de choses qu’ils ont vraiment adoré à l’UTS, et qu’ils n’ont pas le reste de l’année. Quand je leur explique la situation, ma volonté, ils me répondent « Oh, super, nous devons faire quelque chose ». Tout le monde a intégré cela. L’industrie du tennis tout entière a conscience que l’ordre établi doit être bousculé, parce que si nous ne le faisons pas, nous allons être en difficulté. Très rapidement.
Avez-vous échangé avec l’ATP et la WTA sur le futur de l’UTS ?
J’ai discuté avec la WTA du futur du tennis, mais pas avec l’ATP. Pas encore. L’ATP a déjà beaucoup de problèmes à régler. Je sais à quel point la situation est compliquée. Un nouveau PDG (Massimo Calvelli), un nouveau président (Andrea Gaudenzi). Ils amènent avec eux beaucoup d’idées, qui seront utiles en cette période de COVID-19. Mais ils ne savent pas encore à quoi le calendrier va ressembler en 2021. Dans tous les cas, il sera remodelé. Les patrons doivent déjà réussir à gérer différentes composantes, des problèmes à court-terme, et je ne pense pas que l’UTS soit une priorité. Ce que je comprends parfaitement. Mais je suis prêt. Je suis ouvert.
Quelle a été la teneur de la conversation avec la WTA ?
Nous avons discuté du futur. Ils ont aussi proposé des idées. Ils se sont montrés très, très enthousiastes. Mais la WTA a aussi ses problèmes. Certains sont partagés avec l’ATP. La crise du coronavirus a beaucoup de conséquences sur le monde du tennis. Il y a, en tout cas, l’idée de fusionner l’ATP et la WTA. Ils y gagneraient beaucoup. Nous sommes en train de discuter, ce qui est la meilleure chose que l’on puisse faire à l’heure actuelle. Ce qui est important est que l’UTS continue de grandir.
« L’UTS va continuer d’exister car il y a un besoin pour l’UTS »
Si le circuit revient à la normale en 2021, l’UTS peut-il continuer d’exister en parallèle ?
L’UTS va continuer d’exister car il y a un besoin pour l’UTS. Il y a une base de fans et des joueurs qui veulent jouer l’UTS. Nous allons nous adapter. Nous jouons les week-ends. C’était une volonté depuis le premier jour, qui se révèle, je pense, être un choix gagnant. Quand vous jouez le week-end, tout est possible.
Certains matches ont-ils manqué d’élan par moments ?
Je pense que beaucoup de matches ont été intéressants, mais certains ont été à sens unique. Le rôle des cartes UTS est de faire en sorte que tout puisse arriver, à n’importe quel moment. Nous devons jouer sur cela. Nous pouvons améliorer ce point sans aucun doute. Autant que sur la façon de compter les points. Tout n’est pas parfait.
Quelle a été la chose la plus compliquée à laquelle vous avez été confronté, en tant que co-fondateur et président de l’UTS ?
Sans aucun doute, la technologie. Nous avons dû redéfinir toute la technologie qui correspondait au tennis, surtout par rapport aux arbitres. Toutes les règles étaient différentes. Le défi était de pouvoir aider les joueurs à n’importe quel moment, en connaissant toutes les composantes, pour pouvoir prendre ensuite les bonnes décisions. Nous avons rencontré beaucoup de problèmes techniques, et tout n’est pas encore totalement résolu.
Le travail des arbitres a été incroyable. C’était extrêmement stressant de devoir gérer une formule tellement différente de ce qu’ils connaissent tout au long de l’année, à l’ATP ou à la WTA. Tu ne peux pas anticiper toutes les situations. Ils ont dû gérer beaucoup d’inconnues, sans paniquer, alors qu’ils étaient en direct sur 80 chaînes dans le monde entier.
Nous avons observé certains joueurs apprécier les interviews, et d’autres comme Tsitsipas, refuser des temps morts demandés par leur entraîneur. Qu’en pensez-vous ?
Quand un joueur refuse le « coaching » de son père, c’est génial, aussi. C’est ce que nous voulons. Nous voulons de l’émotion, de l’authenticité. Nous n’essayons pas d’avoir quelque chose de policé. Je ne veux pas cela. Je déteste cela. Il ne faut pas des prototypes de joueurs. Ce qui est intéressant est de voir se dévoiler les personnalités. Si certains joueurs adorent l’UTS et veulent parler de l’UTS, c’est qu’ils veulent devenir des ambassadeurs de l’UTS. J’en serais plus qu’heureux.