9 juillet 2001 : le jour où Ivanisevic a enfin gagné à Wimbledon, en devenant le seul joueur à réussir cet exploit en tant que wild card
Chaque jour, Tennis Majors remonte le temps pour revenir sur un événement marquant pour la planète tennis. Le 9 juillet 2001, Goran Ivanisevic, tombé à la 125e place mondial, remporte Wimbledon à sa 4e finale.
Ce qui s’est passé ce jour-là et pourquoi cela a marqué l’histoire du tennis : Ivanisevic enfin récompensé à Wimbledon
Ce jour-là, le 9 juillet 2001, Goran Ivanisevic, qui avait échoué par le passé à trois reprises en finale, s’impose finalement à Wimbledon à l’issue d’un match haletant en cinq sets contre Patrick Rafter (6-3 3-6 6-3 2-6 9-7). Ivanisevic, au bord des larmes, finit par maîtriser ses nerfs dans un dernier jeu chargé d’émotion comme le tennis en a rarement connu. Le Croate, qui a plongé à la 135e place du classement mondial, est le premier joueur à remporter un titre du Grand Chelem après avoir bénéficié d’une invitation dans le grand tableau.
Les personnages : Goran Ivanisevic et Patrick Rafter
- Goran Ivanisevic, trois fois finaliste malheureux sur le gazon londonien
Goran Ivanisevic, né en 1971, explose réellement au plus haut niveau en 1990, à l’âge de dix-neuf ans. Cette année-là, il se révèle au grand public en atteignant les quarts de finale à Roland-Garros après avoir battu le 3e mondial Boris Becker au premier tour, juste avant de parvenir en demi-finale à Wimbledon où il est éliminé par le même Becker (4-6 7-6 6-0 7-6).
En 1991, sa saison est perturbée par l’actualité : son pays, la Yougoslavie, est ravagée par la guerre civile et il lui est difficile de se concentrer sur le tennis. En 1992, il revient au sommet. À Wimbledon, auteur de 206 aces au cours du tournoi, il est vaincu par Andre Agassi, en cinq sets en finale (6-7 6-4 6-4 1-6 6-4).
Au cours des cinq années suivantes, Goran Ivanisevic s’installe dans le top 10, remportant 14 tournois et atteignant au moins les quarts de finale de tous les tournois du Grand Chelem. En 1994, après une deuxième défaite en finale de Wimbledon (cette fois contre Pete Sampras, 7-6 7-6 6-0), il obtient son meilleur classement, 2ème mondial.
Gaucher, son jeu offensif s’appuie principalement sur un service très précis : en 1996, il sert un record, inégalé depuis, de 1477 aces en une saison. Goran Ivanisevic est aussi célèbre pour ses “pétages de plombs” et par sa tendance à casser plus de raquettes que la plupart des joueurs.
En 1998, il subit une troisième défaite terriblement douloureuse en finale de Wimbledon, après avoir été proche de mener deux manches à rien avant de s’incliner à nouveau face à Pete Sampras (6-7 7-6 6-4 3-6 6-2). Dévasté par ce match, qu’il qualifie de « pire moment de sa vie », Goran Ivanisevic ne remporte pas le moindre tournoi au cours des 24 mois suivants, et se voit chuter au classement jusqu’à la 134e place mondiale en novembre 2000. En 2001, il n’obtient pas de meilleur résultat qu’un quart de finale à Milan perdu face au jeune Roger Federer (6-4 6-4).
- Patrick Rafter, double vainqueur de l’US Open et double finaliste de Wimbledon
Patrick Rafter, né en 1972, est passé pro en 1991. Durant les premières années de sa carrière, l’Australien n’a pas obtenu de grands résultats, et jusqu’en 1997, il n’avait jamais remporté qu’un seul tournoi, à Manchester, en 1994.
En 1997, sa carrière décolle subitement lorsqu’il atteint les demi-finales à Roland-Garros, seulement battu par Sergi Bruguera (6-7 6-1 7-5 7-6). Quelques mois plus tard, après avoir disputé deux finales à Indianapolis et Long Island, il gagne l’US Open à la stupéfaction générale. Ce n’était que le deuxième titre de sa carrière !
En chemin, il bat Andre Agassi (alors 63e mondial, 6-3 7-6 4-6 6-3), puis le numéro 2 mondial Michael Chang (6-3 6-3 6-4), et enfin Greg Rusedski en finale (6-3 6-2 4-6 7-5).
Mais en 1998, ses résultats décevants en début d’année le mettent sous le feu des critiques, John McEnroe déclarant qu’il ne reproduirait pas son exploit de l’US Open tandis que Pete Sampras faisait remarquer que, pour être un grand joueur, Rafter devait gagner un autre tournoi majeur.
Comme pour leur répondre, à l’été 1998, Pat Rafter remporte coup sur coup les tournois de Toronto et Cincinnati (où il bat en finale…Pete Sampras, 1-6 7-6 6-4). Sur sa lancée, l’Australien s’adjuge un deuxième titre à l’US Open, en battant une fois de plus Pistol Pete (6-7 6-4 2-6 6-4 6-3) avant de venir à bout de son compatriote Mark Philippoussis (6-3 3-6 6-2 6-0) à l’issue de la première finale de Grand Chelem 100 % australienne depuis 1970.
Bud Collins décrivait Patrick Rafter comme « un homme humble et élégant sur le court, d’une grande générosité et une attitude de gentleman ». Avec son jeu de service-volée, il court désespérément après la consécration à Wimbledon, après y avoir échoué en demi-finale en 1999 (battu par Andre Agassi, 7-5 7-5 6-2) puis en finale en 2000 face à Pete Sampras (6-7 7-6 6-4 6-2).
Le lieu : Wimbledon et son Centre Court mythique
Wimbledon est le tournoi de tennis le plus ancien et le plus prestigieux au monde. Organisé par le All England Lawn Tennis and Cricket Club depuis 1877, il s’est installé sur son site actuel en 1922, année de la construction du célèbre Centre Court. Considéré par beaucoup comme le court le plus impressionnant au monde, avec sa célèbre citation de Rudyard Kipling gravée au-dessus de l’entrée (« Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite, Et recevoir ces deux menteurs d’un même front »), le Centre Court a vu s’affronter tous les plus grands joueurs de l’histoire.
Après que le passage, dans les années 1970, de l’US Open à la terre battue puis au ciment, et après l’abandon du gazon au profit du dur par l’Open d’Australie en 1988, Wimbledon demeure le dernier tournoi du Grand Chelem sur herbe, une surface qui convient généralement mieux aux serveurs-volleyeurs. Non seulement Wimbledon conserve sa surface historique, mais le tournoi maintient également certaines traditions comme l’obligation pour les joueurs de s’habiller en blanc.
L’histoire : une finale épique jouée le lundi
En 2001, Goran Ivanisevic, trois fois finaliste à Wimbledon dans les années 1990, a besoin d’une wild card pour intégrer le tableau. Avec son classement actuel, 125e, il aurait dû passer par les qualifications, mais le comité à décidé de lui donner une invitation en raison de ses exploits passés au All England Club. Personne n’a jamais fait aussi bonne usage que lui d’une wild card.
Ivanisevic bénéficie d’un tirage clément au premier tour, face au qualifié Fredrik Jonsson, qu’il bat 6-4 6-4 6-4. Après avoir éliminé le 22e mondial Carlos Moya au deuxième tour (6-7 6-3 6-4 6-4), on peut considérer qu’il a déjà fait honneur à son invitation. Au troisième tour, il défait la star montante du tennis américain, Andy Roddick, en quatre sets, 7-6 7-5 3-6 6-3. En huitièmes de finale, il domine Greg Rusedski en trois manches. A ce même stade de la compétition, Pete Sampras, quadruple tenant du titre et sextuple vainqueur, est battu par un jeune talent émergeant : Roger Federer. En quarts de finale, Ivanisevic écarte le 3e mondial, Marat Safin, 7-6 7-5 3-6 7-6.
Contre toute attente, voilà le Croate, 125e mondial, en demi-finale, alors qu’on le pensait fini. A l’issue d’une bataille épique en cinq sets, disputée sur trois jours, il parvient à battre le chouchou du public, Tim Henman (7-5 6-7 0-6 7-6 6-3). Le gaucher Croate est en finale de Wimbledon pour la quatrième fois de sa carrière.
Entre Ivanisevic et son rêve se dresse Patrick Rafter. L’Australien, 10e mondial, est un sérieux candidat au titre depuis des années, lui qui est l’un des derniers à pratiquer le service-volée. Son jeu convient parfaitement au gazon, et l’an passé, il a perdu en finale contre Pete Sampras. Cette fois, Pat Rafter a pris sa revanche de la demi-finale 1999 en battant Andre Agassi pour se qualifier pour sa deuxième finale de Wimbledon consécutive.
En raison de la pluie qui a beaucoup perturbé le tournoi, la finale se joue le lundi. De nouveaux billets sont mis à la vente, et, avec des tribunes remplies de supporters croates et australiens, le match démarre devant un public surexcité. Peut-être déconcentré par l’enthousiasme de ses compatriotes, Pat Rafter se fait breaker d’entrée, ce qui lui coûte le premier set, empoché par Ivanisevic, 6-3. Au deuxième set, le Croate est en difficulté au service, son arme majeure, et se plaint de douleurs à l’épaule. Rafter égalise, 6-3.
Goran prend le troisième set, prenant le service adverse à 3-2, grâce à deux superbes retours. Le Croate n’a jamais été aussi proche de réaliser le rêve de sa vie. Il commence à en ressentir la pression et pète les plombs pour la première fois du match après une double faute commise sur une balle de break. Il met un coup de pied dans le filet, jette sa raquette et s’en prend à l’arbitre. On dirait que le bon vieux Goran est de retour avec ses démons habituels.
Il y a cependant trop d’enjeux pour qu’il se laisse consumer par la colère. Après avoir perdu la quatrième manche, 6-2, Ivanisevic reprend ses esprits dans le dernier set, ce qui ne surprend pas Pat Rafter : « C’était une trop grosse occasion pour lui pour qu’il laisse ce genre de choses le perturber et le tirer vers le bas. »
Au cinquième set, la tension est à son comble. A 7-7, d’un retour gagnant, Ivanisevic fait le break. Il montre son poing serré à son box en revenant à sa chaise. Pour la première fois en quatre finales à Wimbledon, il va servir pour le match, et son service est peut-être le meilleur au monde.
Et pourtant, c’est ce service, qui l’a tant aidé depuis le début du tournoi, lui qui a déjà servi 211 aces, qui va presque le lâcher dans ce dernier jeu. A 15-15, il commet une première double faute. A 15-30, sur sa deuxième balle, il sert un ace qui fait s’élever un nuage de craie. Il enchaîne par un nouvel ace à 30-30 : Goran Ivanisevic n’est plus qu’à un point (un ace ?) du plus incroyable triomphe jamais vu à Wimbledon. Les larmes aux yeux, il se met en position. Double faute. Un service gagnant lui offre une seconde occasion. Nouvelle double faute. Grâce à un passing shot vendangé par Rafter, il se procure une troisième balle de match. Il s’agenouille, il prie le ciel et essaie de relâcher son bras pour se calmer avant cette nouvelle tentative. Cette fois, malgré une approche parfaite, Rafter revient au score grâce à un lob magnifique. Un service gagnant plus tard, Goran Ivanisevic obtient une quatrième balle de match pour enfin réaliser le rêve de sa vie. Il rate son premier service, mais cette fois, il ne commet pa de double faute. Pat Rafter expédie son retour directement dans le filet. Ivanisevic se laisse tomber sur le gazon. Après trois échecs en finale, il est revenu de nulle part pour triompher à Wimbledon quand plus personne ne croyait en lui.
Fair-play dans la défaite, Patrick Rafter donne une accolade à un Goran en larmes, avant que le vainqueur de Wimbledon n’escalade les gradins pour célébrer sa victoire avec ses proches.
La postérité du moment : tous deux touchés à l’épaule, Ivanisevic et Rafter déclineront rapidement
« Je ne sais pas si quelqu’un ne va pas me réveiller pour me dire qu’en fait je n’ai pas gagné », confiera par la suite un Ivanisevic toujours empli d’émotion. « C’était mon rêve, c’était ma vie. Je suis venu ici et personne ne pensait à moi, et maintenant le trophée est à moi. »
Patrick Rafter, après avoir reconnu les mérites de son adversaire, partagera quant à lui son amertume : « J’en ai marre d’écrire cette foutue histoire. (…) Quelqu’un doit finir par perdre et je suis à nouveau le perdant. »
La finale de Wimbledon 2001 restera la dernière grande performance à la fois de Rafter et d’Ivanisevic. Tous deux luttaient depuis longtemps déjà avec des blessures à l’épaule. La dernière apparition de Patrick Rafter aura lieu lors de la finale de la Coupe Davis 2001, tandis qu’Ivanisevic disparaîtra presque du circuit en 2002, ne jouant que 16 matches en deux ans. En 2004, après une dernière apparition à Wimbledon, où il se hissera encore en huitièmes de finale (battu par Lleyton Hewitt, 6-2 6-4 6-3), Goran Ivanisevic mettra un terme à sa carrière.