16 décembre 1984 : Le jour où la dream team américaine a subi la loi de la Suède en Coupe Davis
Le 16 décembre 1984, en finale de la Coupe Davis, les deux meilleurs joueurs mondiaux, John McEnroe et Jimmy Connors, la « dream team » américaine, sont sèchement battus par les Suédois Mats Wilander et Henrik Sundstrom.
Ce qu’il s’est passé ce jour-là et pourquoi c’est historique : la dream team américaine s’incline
Ce jour-là, le 16 décembre 1984, en finale de la Coupe Davis, les deux meilleurs joueurs mondiaux, John McEnroe et Jimmy Connors, la « dream team » américaine, sont sèchement battus par les Suédois Mats Wilander et Henrik Sundstrom. Après que Wilander a détruit Connors lors du match d’ouverture (6-1, 6-3, 6-3), McEnroe subit sa troisième défaite de la saison, battu par Sundstrom en trois manches (13-11, 6-4, 6-3). Ce résultat surprenant mènera la Suède à son premier succès en Coupe Davis, mais entraînera en revanche une crise au sein de l’équipe américaine.
Les acteurs : McEnroe – Connors et Wilander Sundstrom
- La dream team américaine, McEnroe numéro un mondial et Connors numéro deux
John McEnroe, né en 1959, est le numéro 1 mondial. Le gaucher de New-York éblouit le monde du tennis dès ses premier pas sur le circuit, en 1977, lorsqu’à l’âge de 17 ans, il s’aligne à Wimbledon en tant qu’amateur pour s’extraire des qualifications et atteindre les demi-finales. “Mac” est extrêmement talentueux, son jeu étant basé sur le toucher de balle et la précision, le tout agrémenté d’un service aussi original qu’efficace. Il est aussi bien connu pour ses sautes d’humeur et ses constantes discussions avec le corps arbitral. En 1979, il devient le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’US Open en battant en finale Vitas Gerulaitis (7-5, 6-3, 6-3).
Il crée également la surprise cette année-là en venant à bout de Bjorn Borg en finale du WCT (7-5, 4-6, 6-2, 7-6). En novembre 1984, il détient déjà sept titres du Grand Chelem, dont quatre US Open et trois Wimbledon. Son match le plus connu est la finale de Wimbledon 1980, qu’il a perdue en cinq sets contre Borg, après avoir gagné un incroyable tie-break au quatrième set (18-16). Meilleur joueur du monde en 1984, il achève sa meilleure saison sur le circuit : après une terrible défaite en finale de Roland-Garros (perdue face à Lendl malgré une avance de deux sets, 3-6, 2-6, 6-4, 7-5, 7-5), il remporte Wimbledon ainsi que l’US Open, ne subissant qu’une seule défaite au cours de l’été (face à Vijay Amritraj, au premier tour de Cincinnati).
Jimmy Connors, né en 1952, est l’un des plus grands joueurs de son temps. Coaché depuis toujours par sa mère, Gloria, Connors est l’un des premiers joueurs à jouer à plat et en cadence depuis la ligne de fond de court. Sa manière de frapper la balle montante inspirera beaucoup les futures générations de joueurs. « Jimbo » passe pro en 1972, à vingt ans, et devient numéro 1 mondial dès 1974. Cette année-là, il remporte trois des quatre tournois du Grand Chelem, et est interdit de participation à Roland-Garros, le quatrième tournoi, en raison d’une procédure judiciaire qu’il a lancée contre l’ATP.
Il reste numéro 1 mondial pendant une durée record de 160 semaines consécutives, entre 1974 et 1977. Après avoir cédé son trône à Bjorn Borg le 23 août 1977, pour une semaine seulement (!), il le récupère pour 84 semaines supplémentaires, jusqu’au printemps 1979. Il compte alors cinq titres du Grand Chelem à son palmarès : l’Open d’Australie (1974), Wimbledon (1974) et l’US Open (1974, 1976, 1978).
De 1979 à 1981, Connors n’évolue pas au même niveau que lors de ses plus grandes années, n’atteignant pas la moindre finale de Grand Chelem. Il revient brillamment au premier plan en 1982-83, redevenant numéro 1 mondial après avoir remporté trois nouveaux Grands Chelems : Wimbledon en 1982, et l’US Open en 1982 et 1983, portant son total de titres majeurs à huit. En décembre 1984, il est n°2 mondial.
- Wilander et Sundstrom, les challengers suédois
Mats Wilander, né en 1964, a connu le succès à un très jeune âge. En 1982, à l’âge de dix-sept ans et neuf mois, il devient en effet le plus jeune vainqueur de Grand Chelem de l’histoire, en battant en finale Guillermo Vilas, véritable légende sur terre battue (1-6, 7-6, 6-0, 6-4). Il se rend également célèbre après avoir fait preuve d’un rare fair-play plus tôt dans le tournoi : en demi-finale, contre José-Luis Clerc, il inverse, sur balle de match, une annonce qui le propulsait en finale, et ce alors que l’arbitre a déjà annoncé « jeu, set et match ».
En quarts de finale de la Coupe Davis 1982, il dispute également le match le plus long de l’ère open, vaincu en six heures et vingt-deux minutes par John McEnroe (9-7, 6-2, 15-17, 3-6, 8-6). Battu en finale de Roland-Garros 1983 par Yannick Noah (6-2, 7-5, 7-6), il remporte un deuxième titre du Grand Chelem quelques mois plus tard, en s’imposant face à Ivan Lendl sur le gazon australien (6-1, 6-4, 6-4) à la surprise générale, lui qui semblait être un expert de la terre battue. En 1984, après avoir été battu par Lendl en demi-finale de Roland-Garros (6-3, 6-3, 7-5), il parvient à défendre son titre à Melbourne (aux dépens de Kevin Curren, 6-7, 6-4, 7-6, 6-2).
Henrik Sundstrom est lui aussi né en 1964. Passé pro en 1981, il dispute sa première finale sur le circuit l’année suivante, à Bastad (battu par Mats Wilander, 6-4, 6-4). En 1983, il remporte son premier tournoi, à Nice, aux dépens de Manuel Orantes (7-5, 4-6, 6-3). Sundstrom est un vrai spécialiste de la terre battue : les quatre tournois qu’il a gagnés, ainsi que les six finales qu’il a atteintes, l’ont tous été sur cette surface, et il a obtenu son meilleur résultat en Grand Chelem à Roland-Garros, en 1984, éliminé seulement en quarts de finale par Jimmy Connors (7-6, 6-1, 6-4).
Le lieu : Göteborg (Suède)
La finale de la Coupe Davis se déroule en Suède, sur terre battue couverte, au Scandinavium de Göteborg. Le complexe, inauguré en 1971, a accueilli bien des sports différents, des Championnats du Monde de hockey sur glace aux championnats d’Europe d’athlétisme en salle, mais aussi beaucoup de concerts, dont notamment Led Zeppelin et Deep Purple. Le Scandinavium peut recevoir jusqu’à 12 000 spectateurs.
L’histoire : La Suède a terrassé les États-Unis
“C’est le pire voyage que je n’aie jamais fait.“
C’est ainsi que, dans son autobiographie (Serious), John McEnroe, grand amateur de musique, décrira la finale de la Coupe Davis 1984, paraphrasant les paroles d’une chanson des Beach Boys.
Pourtant, aux yeux du grand public, la dream team américaine, qui aligne les deux premiers mondiaux, Connors et McEnroe, est favorite face à la Suède. Connors a rarement joué la Coupe Davis, et en 1984, il s’est pour la première fois engagé à disputer toutes les rencontres.
Certes, mais…les joueurs suédois, bien qu’ils n’aient pas le statut légendaire des caractériels gauchers, sont des joueurs de premier plan : Mats Wilander, 4e mondial, a déjà trois titres du Grand Chelem à son actif, et Henrik Sundstrom est 11e mondial. De plus, ce sont de redoutables spécialistes de la terre battue, et à l’occasion de la rencontre, ils ont choisi une surface particulièrement lente pour neutraliser les velléités offensives de leurs adversaires.
Connors a joué Wilander le premier jour, et il a complètement pété les plombs. Il a tout simplement craqué
John McEnroe
Toutefois, selon McEnroe, malgré la valeur évidente de l’équipe suédoise et la problématique de la surface, les Etats-Unis ont perdu la rencontre avant même qu’elle n’ait débuté. “Le contraire de l’esprit d’équipe, voilà ce que l’on avait à Göteborg”, écrira-t-il dans son livre.
Le n°1 mondial, mentalement épuisé après une année pleine de succès mais extrêmement chargée, ne quitte qu’à regret New York et sa compagne, Tatum O’Neal, pour faire équipe avec Jimmy Connors. Les deux hommes se détestent notoirement – pour tout dire, à cette époque, ils ne s’adressent même pas la parole. De plus, la femme de Connors, enceinte de leur deuxième enfant, peut accoucher à tout moment, et il n’a donc pas vraiment la tête au tennis.
Jimbo a toujours été connu pour ses sautes d’humeur et son comportement agressif, mais cette fois-là, il se surpasse, d’après son rival mais coéquipier d’un jour :
“Connors a joué Wilander le premier jour, et il a complètement pété les plombs. Il a tout simplement craqué. Je sais bien ce que c’est que de se comporter de manière ridicule sur un court de tennis, mais là, il s’agissait de l’un des plus grands cirques de tous les temps. Il s’en est pris à tout le monde, insultant tant et si bien que c’est un miracle qu’il n’ait pas été disqualifié. En Suède, en finale de la Coupe Davis!”
En effet, non seulement Connors est balayé (6-1, 6-3, 6-3), mais il écope d’un avertissement pour obscénité, suivi d’un point de pénalité pour encore plus d’obscénités, et même un jeu de pénalité après avoir cogné la chaise d’arbitre avec sa raquette. “J’ai déjà mieux joué que ça”, résume Connors.
C’est à présent au tour de McEnroe d’affronter Sundstrom. Ou plutôt, une pâle imitation de McEnroe. « Nous avions rarement vu McEnroe aussi peu en rythme”, commentera Arthur Ashe, le capitaine américain, cité par le Los Angeles Times. Le n°1 mondial, même s’il se procure deux balles de set lors d’une première manche longue de deux heures, s’incline en trois sets (13-11, 6-4, 6-3). Dans son autobiographie, McEnroe affirmera ne s’être “pas énervé du tout », mais le New York Times, lui, rapporte qu’il “se lance dans plusieurs joutes verbales avec des spectateurs, conteste de nombreuses annonces et lance sa raquette de rage”.
À l’issue de cette première journée, l’équipe suédoise est extrêmement heureuse du résultat, même si les joueurs, conscients du chemin qu’il reste à parcourir, restent concentrés. Mais les joueurs américains croient-ils encore pouvoir inverser la tendance ? Ils n’en donnent pas vraiment l’impression.
“Ce n’est un secret pour personne que la terre battue n’est pas notre meilleure surface”, déclare Ashe, assommé après avoir vu sa dream team se faire écraser sans arracher un seul set.
“Nous avons encore une chance, mais les choses ne s’annoncent pas très bien. Nous avons le potentiel pour perdre 5-0”, commente McEnroe.
La postérité du moment : La Suède remporte la Coupe Davis
Le lendemain, McEnroe et Peter Fleming seront défaits par Stefan Edberg et Anders Jarryd (7-5, 5-7, 6-2, 7-5), et la Suède remportera ainsi la deuxième Coupe Davis de son histoire, après 1975.
La débâcle américaine en Suède allait encore continuer. Lors du dîner officiel, les joueurs quitteront les lieux juste avant le discours du président de la Fédération Américaine. Laissons McEnroe terminer l’histoire :
“Finalement, le résultat de cette semaine a été que l’USTA a rédigé un Code de Conduite. Si vous refusiez de le signer, vous ne pouviez pas jouer la Coupe Davis. Je n’ai pas joué pour mon pays pendant deux ans.”