4 décembre 1985 : Le jour où Zivojinovic mangeait un sandwich pendant que McEnroe palabrait
Le 4 décembre 1985, Slobodan Zivojinovic éliminait John McEnroe en quart de finale de l’Open d’Australie, en marquant les esprits après avoir profité d’un énième craquage de l’Américain pour manger un sandwich en plein match.
Ce qu’il s’est passé ce jour-là : McEnroe palabre, Zivojinovic casse la croûte
Ce jour-là, le 4 décembre 1985, le Yougoslave Slobodan Zivojinovic, 66e mondial, renverse John McEnroe en quarts de finale de l’Open d’Australie, qui se dispute encore à l’époque sur le gazon de Kooyong. Lors de sa victoire en cinq sets (2-6, 6-3, 1-6, 6-4, 6-0), Zivojinovic, 22 ans, s’attire la sympathie du public lorsqu’il s’assied parmi les spectateurs pour grignoter un sandwich en attendant que McEnroe termine une longue discussion avec l’arbitre. C’est l’une des dernières apparitions de McEnroe avant la pause de six mois qu’il prendra en 1986.
Les acteurs : Slobodan Zivojinovic et John McEnroe
- Slobodan Zivojinovic, grand serveur
Slobodan Zivojinovic, 1,98m, est l’un des premiers géants de l’histoire du tennis, et aussi un précurseur de l’école des grands serveurs yougoslaves. Né en 1963, il s’appuie sur un énorme service, qui le rend surtout dangereux sur surface rapide. Son meilleur résultat à ce jour est une finale disputée à Nancy en 1985 (perdue face à Tim Wilkison, 4-6, 7-6, 9-7), mais il compte déjà quelques victoires de prestige. En mars 1985, en Coupe Davis, il domine Pat Cash, 9e mondial (7-5, 5-7, 10-9, 6-4), et en juin, au premier tour de Wimbledon, il élimine Mats Wilander, 4e mondial (6-2, 5-7, 7-5, 6-0).
- John McEnroe, le nerveux
John McEnroe, né en 1959, a occupé la place de numéro 1 mondial 170 semaines durant, entre 1980 et 1985. Pendant cette période, le gaucher américain accumule sept titres du Grand Chelem : trois à Wimbledon (1981, 1983, 1984) et quatre à l’US Open (1979, 1980, 1981, 1984). En 1979, il était devenu le plus jeune vainqueur de l’histoire de l’US Open, en battant Vitas Gerulaitis en finale (7-5, 6-3, 6-3) et, en 1980, il dispute son match le plus célèbre en finale de Wimbledon, vaincu par Björn Borg en cinq manches après avoir remporté un incroyable tie-break au quatrième set (18-16).
Sa plus grande saison reste 1984, année au cours de laquelle, après une terrible défaite en finale de Roland-Garros, il remporte non seulement Wimbledon et l’US Open, mais aussi le Masters, finissant l’année en numéro 1 incontesté avec 82 victoires pour seulement 3 défaites. En 1985, la domination de McEnroe arrive à son terme – bien qu’il soit encore numéro 2 mondial à la fin de l’année – après avoir atteint les demi-finales de Roland-Garros (battu par Wilander, 6-1, 7-5, 7-5) et la finale de l’US Open (battu par Lendl, 7-6, 6-3, 6-4). McEnroe est extrêmement talentueux. Son jeu est basé sur le toucher de balle et la précision, le tout agrémenté d’un service aussi original qu’efficace, souvent suivi au filet. Il est également célèbre pour son comportement, qui choque à l’époque le monde bien propre et policé du tennis. Ses querelles incessantes avec le corps arbitral détonnent dans un sport dit « de gentlemen ».
Le lieu : l’Open d’Australie
Contrairement aux autres tournois du Grand Chelem, l’Open d’Australie (d’abord appelé Championnat d’Australasie puis Championnat d’Australie) a changé plusieurs fois de lieu au fil des ans. L’épreuve changeait même de ville chaque année avant de s’installer à Melbourne en 1972, et pas moins de cinq villes australiennes l’ont accueillie à au moins trois reprises : Melbourne, Sydney, Adélaïde, Brisbane et Perth. Ses dates ont été assez mouvantes également, entre début décembre et fin janvier, faisant de l’Open d’Australie parfois le premier, parfois le dernier Grand Chelem de la saison. Jusqu’à 1982, la plupart des meilleurs joueurs font l’impasse sur l’épreuve en raison de son éloignement, des dates proches des fêtes de fin d’année et des prix insuffisants.
L’histoire : Zivojinovic se met le public dans la poche pour renverser McEnroe
En décembre 1985, John McEnroe est aux abois. Bien que son bilan de 1985 soit loin d’être catastrophique, il est bien pâle à côté de celui de 1984. “Mac” n’a pas gagné de titre du Grand Chelem, mais le plus inquiétant est la façon dont il s’est fait battre dans les tournois majeurs. En demi-finale de Roland-Garros, il s’est lourdement incliné face à Mats Wilander (7-5, 6-1, 6-1). A Wimbledon, où il avait remporté trois des quatre dernières éditions, il s’est fait sèchement éliminer en quarts de finale par Kevin Curren (6-2, 6-2, 6-4), et à Flushing Meadows, Ivan Lendl l’a surclassé en finale (7-6, 6-3, 6-4).
En Australie, il apparaît nerveux dès le premier tour, où il se fait étonnamment accrocher par le 138e mondial, Danle Visser (6-4, 6-3, 3-6, 6-3). En huitièmes de finale, McEnroe doit batailler cinq sets pour se débarrasser du gaucher français Henri Leconte, et son comportement au cours de cette partie lui vaut une lourde amende. Il risque à présent trois semaines de suspension.
Son attitude ne s’améliore pas lors de son quart de finale contre le grand serveur yougoslave, Slobodan Zivojinovic. Bien que le n°2 mondial parvienne à mener deux manches à une, le Yougoslave – peut-être parce qu’il s’entraîne quotidiennement avec son partenaire de double, Boris Becker – retourne avec une étonnante facilité le fameux service de McEnroe. Au quatrième set, Zivojinovic breake d’entrée et mène 2-0 lorsque le gaucher américain entame une discussion interminable avec l’arbitre de chaise et fait venir le superviseur.
Zivojinovic a alors l’une des réactions les plus amusantes de l’histoire du tournoi. Lassé d’attendre que McEnroe reprenne le jeu, il s’assied parmi les spectateurs d’une loge située à hauteur de court, grignote un sandwich et se fait verser un verre d’eau par un serveur. Cette attitude lui attire le soutien du public, ainsi que la haine de McEnroe, pour le reste de la partie.
Zivojinovic remporte le quatrième set, 6-4, et le numéro 2 mondial s’effondre dans la cinquième manche. Mené 0-4, 30-40, McEnroe prévient le Yougoslave, qui a osé monter le public contre lui : “Tu vas me le payer, vraiment.” Cela n’empêche pas Zivojinovic de conclure le match, 2-6, 6-3, 1-6, 6-4, 6-0.
“Vous connaissez McEnroe. Il essaie de faire la même chose à chaque match, dit-il. Je suis juste allé m’asseoir.”
Interrogé au sujet de l’incident du dernier set, le Yougoslave botte en touche. “Il m’a déçu, mais c’est un bon gars et un bon joueur”, répond-il.
Des années plus tard, Zivojinovic évoquera l’histoire du sandwich.
“Il était en train de discuter avec l’arbitre, de se plaindre. J’ai juste posé mes pieds sur la barrière et mangé un sandwich sur le court. J’ai rejoint des spectateurs et partagé un sandwich avec eux, je l’ai laissé faire son cinéma. Bien sûr, ça l’a énervé encore plus. J’étais content de lui avoir mis 6-0 au cinquième set.”
La postérité du moment : Zivojinovic ne remportera pas de Grand Chelem, McEnroe n’en gagnera plus
Slobodan Zivojinovic s’inclinera en demi-finale de l’Open d’Australie face à Mats Wilander (7-5, 6-1, 6-3). Il n’égalera cette performance qu’une seule fois, à Wimbledon, en 1986 (battu par Ivan Lendl, 6-2, 6-7, 6-3, 6-7, 6-4). Au cours de sa carrière, il remportera deux titres et atteindra la 19e place mondiale. Une fois retraité, il deviendra président de la Fédération serbe de tennis.
McEnroe ne gagnera plus le moindre tournoi du Grand Chelem. En 1986, épuisé mentalement, il fera même une pause dans sa carrière, le temps d’épouser Tatum O’Neal. Après son retour, “Mac” n’obtiendra jamais de résultats comparables à ceux d’avant et n’atteindra plus aucune finale en Grand Chelem. Son dernier résultat marquant sera une demi-finale à Wimbledon, perdue contre Andre Agassi en 1992 (6-4 6-2 6-3). Au total, McEnroe aura gagné sept tournois du Grand Chelem et passé 170 semaines au sommet du classement ATP.