28 mai 1980 : Le jour où Connors a retourné le public de Roland-Garros contre un Français

Chaque jour, Tennis Majors remonte le temps pour revenir sur un événement marquant pour la planète tennis. Le 28 mai 1980, Jean-François Caujolle est passé si près de l’exploit contre Jimmy Connors, alors 3e mondial, que le public de Roland-Garros s’est retourné contre lui et il a fini par s’écrouler.

Jimmy Connors - On This Day 28/05 Jimmy Connors – On This Day 28/05

Ce qui s’est passé ce jour-la et pourquoi cela a marqué l’histoire du tennis : Caujolle hué par le public

Ce jour-là, le 28 mai 1980, à Roland-Garros, Jean-François Caujolle, classé 76e mondial, voit le public français se retourner contre lui après avoir mené deux sets à zéro et 5-2 face au numéro 3 mondial Jimmy Connors. Ce match restera une immense déception pour Caujolle, injustement hué par le public et qui s’inclinera à l’arrivée 3-6 2-6 7-5 6-1 6-1. Ce moment est aussi gravé dans l’histoire du tennis comme un exemple typique de l’imprévisibilité du public français. 

Les personnages : Connors et Caujolle

  • Jimmy Connors alias “Jimbo”, l’ancien patron du circuit

Né en 1952, Jimmy Connors est l’un des plus grands joueurs de son temps. Coaché depuis toujours par sa mère Gloria, Connors est l’un des premiers joueurs à jouer à plat et en cadence depuis la ligne de fond de court. Sa manière de frapper la balle montante inspirera beaucoup les futures générations de joueurs. « Jimbo », passé pro en 1972 à 20 ans, est devenu numéro 1 mondial dès 1974. Cette année-là, il avait gagné trois des quatre tournois du Grand Chelem, et avait été interdit de participation à Roland-Garros, le quatrième tournoi, en raison d’une procédure judiciaire lancée contre l’ATP.

Il est resté numéro 1 mondial pendant une durée alors record de 160 semaines consécutives, entre 1974 et 1977. Après avoir cédé son trône à Bjorn Borg le 23 août 1977, pour une semaine seulement (!), il l’avait récupéré pour 84 semaines supplémentaires, jusqu’au printemps 1979. Il a pour l’instant décroché cinq titres du Grand Chelem : l’Open d’Australie (1974), Wimbledon (1974) et l’US Open (1974, 1976, 1978).  Depuis 1979, Connors n’a pas obtenu des résultats comparables à ceux de ses grandes années. Il n’a pas atteint une finale de Grand Chelem depuis l’US Open 1978. Mais il est tout de même 3e mondial.

Jimmy Connors during 1979 French Open
  • Jean-François Caujolle, le gaucher talentueux

Né en 1953 à Marseille, Jean-François Caujolle a atteint son meilleur classement, 59e mondial, en octobre 1977. Ses meilleurs résultats depuis le début de sa carrière, en 1970, sont deux finales, l’une à Copenhague en 1976 (perdue contre Lars Elvstrom, 6-4 6-4), l’autre à Gstaad en 1977 (perdue contre Jeff Borowiak, 2-6 6-1 6-3). Gaucher, il est connu pour être un joueur talentueux, qui ne donne pas beaucoup de rythme, usant la patience de ses adversaires. A Wimbledon, en 1979, il avait montré que son jeu pouvait perturber Jimmy Connors, qui ne l’avait battu qu’en quatre sets,  6-2 6-7 7-5 6-3.

Le lieu : Roland-Garros

L’histoire se déroule à Roland-Garros. Le stade, situé dans l’ouest parisien, à la lisière du bois de Boulogne, accueille les Internationaux de France depuis 1928. C’est le premier et désormais le seul tournoi du Grand Chelem disputé sur terre battue, la surface la plus lente, ce qui en fait le tournoi le plus difficile sur le plan physique. En 1980, le premier court au monde en forme de cercle y est inauguré ; d’abord connu sous le nom de « Central Bis », il restera dans l’histoire comme le court N.1 après sa destruction à l’été 2019 dans le cadre de la rénovation du stade.

Roland-Garros' court N.1

C’est la neuvième participation de Caujolle à Roland-Garros, et son meilleur résultat est un troisième tour atteint en 1976 (battu par Harold Solomon, 6-4 6-3 6-1). Jimmy Connors, après l’épisode de 1974, où il s’était vu interdire de Roland-Garros, a boudé l’épreuve quatre années de suite avant un retour très attendu en 1979, à l’issue duquel il s’était hissé en demi-finales (battu par Victor Pecci, 7-5 6-4 4-6 6-3).

L’histoire : soutenu par le public français, Connors sauve une balle de match et retourne la situation

Après cinq années d’absence, Jimmy Connors était revenu à Paris en 1979 pour tenter de décrocher le seul titre du Grand Chelem qui manque à son immense palmarès. Bien que la terre battue européenne, un peu lente pour son jeu de contreur, ne soit pas la surface préférée du gaucher, il était venu avec un seul objectif : gagner le tournoi. Après avoir échoué en 1979, il est de retour en 1980 avec le même but en tête, et il semble que sa longue absence lui ait attiré la sympathie du public français. 

Début avril, quelques semaines avant Roland-Garros, les deux joueurs se sont déjà affrontés, en huitièmes de finale de Monte-Carlo. C’était la première apparition de Connors à Monaco, et Caujolle avait eu le culot de le battre, 7-6 6-2. Jimbo n’allait pas le lui pardonner. Entretemps, les deux gauchers ont suivi des chemins différents. Le Français a poursuivi sa tournée européenne sur terre, atteignant les quarts de finale à Florence, puis éliminé d’entrée à Rome. Au premier tour de Roland-Garros, il écarte Marcos Hocevar, 6-1 6-4 6-4.

L’Américain, lui, est reparti aux USA, à Dallas, participer à la phase finale du World Championship Tennis, sur moquette intérieure, où il s’est imposé en finale face à John McEnroe (2-6 7-6 6-1 6-2). Pour son premier match à Paris, il domine le vainqueur de l’édition 1976, Adriano Panatta (6-4 4-6 6-2 7-6). Son prochain adversaire est gaucher comme lui, et il ne l’a pas oublié : le Français Jean-François Caujolle.

Jimmy Connors a pris la défaite de Monte-Carlo comme une offense personnelle. D’après une interview donnée par son adversaire à L’Équipe en 2017, Jimbo injurie Caujolle à chaque changement de côté. Dans cette ambiance délétère, le match commence pourtant bien pour le Français. Soutenu par le public, il applique la stratégie qui avait si bien marché à Monte-Carlo. Il imprime peu de rythme et attend que Connors s’impatiente. Rapidement, il empoche les deux premières manches, pendant que Jimbo plaisante avec les spectateurs. C’est à ce moment-là qu’un énorme changement s’opère dans le public, qui décide soudain de soutenir Jimmy Connors, contre le joueur français !

Caujolle se détache malgré tout 5-2 au troisième set, et les journalistes commencent déjà à ranger leurs affaires pour quitter les lieux. C’est à ce moment-là, alors que des dizaines de spectateurs surexcités encouragent ouvertement son adversaire, que le gaucher français est rattrapé par la pression. Il gâche une balle de match à 5-2, 30-40, pour le plus grand plaisir de la foule. Certainement agacé autant par l’opportunité qu’il vient de rater que par l’attitude du public, il se met définitivement le stade à dos quelques points plus tard en contestant une décision d’arbitrage. Connors sait que son heure est venue. Il continue de se battre sur chaque point alors que Caujolle s’effondre, ne gagnant plus que deux jeux. Le Français perd les trois derniers sets 7-5 6-1 6-1.

La postérité du moment : Caujolle arrêtera sa carrière l’année suivante, Connors redeviendra numéro 1

Jimmy Connors ira jusqu’en demi-finale du tournoi, où il sera vaincu par Vitas Gerulaitis 6-1 3-6 6-7 7-6 6-4. Il ne gagnera jamais Roland-Garros. 

Jean-François Caujolle ne se remettra jamais vraiment de cette défaite. Une blessure au pied le poussera à la retraite en 1981. Il ne comprendra jamais l’agressivité du public envers lui ce jour-là. Il n’excusera jamais, non plus, l’attitude de Connors : “Il était moqueur et méchant”, déclarera-t-il presque trente ans après. Après avoir travaillé pour la marque de tennis Major dans les années 1980, il met sur pied en 1993 un tournoi ATP dans sa ville natale de Marseille, qui s’appellera l’Open 13. Le tournoi perdurera et verra de grands champions s’y imposer, tels que Boris Becker en 1995 ou Roger Federer en 2003.

Jean-François Caujolle, Open 13's founder and director

En ce qui concerne Connors, il parviendra à remporter de nouveaux tournois du Grand Chelem et à reconquérir la place de numéro 1 mondial, en 1982 et 1983. Il ajoutera trois Majeurs à son palmarès, portant son total à huit : Wimbledon en 1982, puis l’US Open en 1982 et en 1983. Il restera dans le top 10 jusqu’en 1987, alors âgé de 37 ans. A la fin de sa longue carrière, il détiendra le record de 109 titres remportés sur le circuit. Connors prendra sa retraite en 1992, malgré de rares apparitions ultérieures.

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