27 Avril 1997 : Le jour où les gains de Marcelo Rios n’ont pas compensé ses pertes au casino
Chaque jour, Tennis Majors remonte le temps pour revenir sur un événement marquant pour la planète tennis. Le 27 avril, c’est la date anniversaire du triomphe de Marcelo Rios à Monte-Carlo en 1997, première étape de son ascension jusqu’à la première place mondiale un an plus tard.
Ce qui s’est passé ce jour-là et pourquoi cela a marqué l’histoire du tennis
Ce jour-là, le 27 avril 1997, l’étoile montante du tennis, le Chilien Marcelo Rios, 21 ans, tête de série numéro 7, remporte le tournoi de Monte-Carlo en battant en finale l’Espagnol Alex Corretja en trois sets secs (6-4, 6-3, 6-3). C’est la première étape d’une épopée de onze mois qui va l’amener jusqu’à renverser Pete Sampras pour devenir en mars 1998 le seul numéro 1 mondial de l’histoire du tennis à n’avoir jamais gagné un tournoi du Grand Chelem.
Lorsqu’on lui tend le microphone lors de la remise des prix, Rios surprend tout le monde en prononçant un discours bref et peu orthodoxe. Le gaucher est visiblement plus doué avec la raquette qu’avec les mots. Ces quelques mots au public confirment son incapacité à être un ambassadeur pour son sport et sa réputation de bad-boy.
Les personnages : Marcelo Rios et Alex Corretja
• Marcelo Rios, le taiseux prodige
Agé de 21 ans, Marcelo Rios, surnommé « El Chino », a déjà une certaine réputation. D’un côté, il est connu pour être un joueur très prometteur et très agréable à voir jouer : à l’âge de 17 ans, en 1994, il accrochait déjà le numéro 1 mondial Pete Sampras à Roland-Garros (défaite 7-6 7-6 6-4). En 1996, à 20 ans, il a atteint les demi-finales à Indian Wells, Monte-Carlo et Toronto, devenant le premier joueur chilien à entrer dans le top 10 mondial.
Le natif de Santiago a démarré la saison 1997 en atteignant les quarts de finale à l’Open d’Australie. Mais d’un autre côté, Rios est également connu pour son mauvais caractère, surtout à l’égard des fans et des journalistes. Il ne signe presque jamais d’autographes (il ne voit pas « à quoi ça sert »), et lors des interviews, il est presque impossible d’obtenir de lui autre chose que des bribes de réponse ou des insultes.
• Alex Corretja, le gentlemen terrien
Au contraire, l’Espagnol Alex Corretja, 23 ans, est réputé sympathique et bien élevé, et les journalistes le surnommeront d’ailleurs plus tard « le Gentleman ». Corretja n’est pas non plus un novice sur le circuit. Tête de série numéro 12 à Monte-Carlo, il a participé à un moment particulièrement théâtral de l’histoire du tennis, au cours d’un célèbre quart de finale contre le numéro 1 mondial Pete Sampras, à l’US Open 1996. Corretja a perdu ce match (7-6, 5-7, 5-7, 6-4, 7-6), après avoir raté une balle de match et après que son adversaire a vomi sur le court en plein tie-break du cinquième set. Corretja deviendra l’un des meilleurs joueurs de terre battue de sa génération, disputant deux finales à Roland-Garros (1998, 2001).
Le lieu : Le prestigieux Monte-Carlo Country Club
L’histoire se déroule au prestigieux Monte-Carlo Country Club. Situé en haut du Rocher de Monaco, avec une vue unique sur la mer Méditerranée, le Country Club accueille depuis 1928 l’un des plus anciens tournois internationaux de tennis. Il est généralement considéré comme le lancement de la saison sur terre battue. En 1997, le tournoi fait partie de la catégorie « Super 9 », l’équivalent des Masters 1000 d’aujourd’hui. Au début du tournoi, le public de Monte-Carlo connaît Marcelo Rios et son jeu spectaculaire depuis qu’il a atteint les demi-finales l’année précédente. Corretja, quant à lui, a participé une seule fois auparavant, étant battu au premier tour.
Les faits : Rios gagne sur le court et perd au casino
Marcelo Rios est arrivé à l’Open de Monte-Carlo 1997 en arborant une coupe de cheveux provocatrice assortie à son caractère ombrageux : une queue de cheval gominée avec les tempes rasées, lui donnant l’allure d’un gangster. Il a également produit un niveau de jeu impressionnant toute la semaine, prenant la balle extrêmement tôt, trouvant des angles inattendus et multipliant les revers sautés (sa marque de fabrique). Il n’a pas perdu un set avant la finale, renversant sur sa route d’excellents joueurs de terre battue comme Albert Costa (6-4 7-6) et Carlos Moya (6/4 7-6). Malgré son attitude envers le public, son style de jeu très créatif suscite beaucoup d’engouement parmi les fans de tennis.
Alex Corretja, titré à Estoril la semaine précédente, est en train de s’affirmer comme une nouvelle terreur sur terre battue, dans un style très « espagnol », avec son lift dévastateur en coup droit comme en revers. Il n’a pas affronté la moindre tête de série sur son parcours, les anciens lauréats de Roland-Garros Sergi Bruguera et Thomas Muster ayant été tous les deux éliminés à la surprise générale par Fabrice Santoro, titulaire d’une invitation.
Les deux joueurs se sont déjà affrontés à quatre reprises, pour deux victoires chacun. Il est donc difficile de désigner un favori dans ce duel entre le jeune bad boy et Alex le Gentleman.
La finale se dispute par un après-midi très venteux. Marcelo Rios s’installe dès le début sur sa ligne de fond de court. Il fait courir l’Espagnol aux quatre coins du court. Corretja semble un peu à bout de forces, lui qui dispute une deuxième finale consécutive en deux semaines. “El Chino” insiste sur son revers avec son coup droit typique de gaucher, et est à l’affût de la moindre balle courte pour avancer et lâcher des accélérations de coup droit long de ligne ou des revers courts croisés. Corretja manque d’énergie pour trouver la longueur qui lui permettrait de contenir son adversaire. Il est totalement surclassé par Marcelo Rios qui s’impose sèchement en trois sets, 6-4 6-3 6-3, remportant ainsi son premier grand tournoi. Mais le Chilien a encore une petite surprise pour le public monégasque…
Après avoir levé la coupe, on lui tend le micro pour le traditionnel discours du vainqueur. Un discours mené à sa façon : jetant un regard dédaigneux au chèque, il se contente de marmonner : « Cela ne couvre même pas tout l’argent que j’ai perdu au casino cette semaine ! Merci, à l’année prochaine. » A la grande surprise des officiels du tournoi, il n’ajoute rien de plus. Même dans un moment pareil, alors qu’il vient de réaliser le meilleur résultat de sa jeune carrière, c’est tout ce qu’il trouve à dire. Ironiquement, il ne reverra pas le public monégasque l’année suivante, une blessure l’obligeant à se retirer du tableau.
La postérité du moment : Rios, numéro un sans Grand Chelem et incompris
Nos deux protagonistes s’affrontent à nouveau quelques semaines plus tard en finale du Super 9 de Rome, confirmant leur forme du moment, avec cette fois un résultat différent : Corretja s’impose 7-5 7-5 6-3. Etonnamment, aucun des deux n’obtiendra un grand résultat à Roland-Garros cette année-là : ils s’inclineront tous deux au stade des huitièmes de finale, Rios contre Hicham Arazi (6-2 6-1 5-7 7-6), et Corretja contre le qualifié Filip Dewulf (5-7 6-1 6-4 7-5).
Marcelo Rios remportera huit tournois dans les dix-huit mois suivants. Après un énorme début de saison en 1998, où il atteindra la finale à l’Open d’Australie avant de réaliser le doublé Indian Wells-Miami, il deviendra numéro 1 mondial le 30 mars. Il ne confirmera jamais ce statut avec un titre en Grand Chelem. Il sera également le premier joueur à gagner tous les Super 9 sur terre battue (Monte-Carlo en 1997, Rome en 1998 et Hambourg en 1999).
La suite de sa carrière sera perturbée et écourtée par des blessures à répétition qui le pousseront à prendre sa retraite en 2004, à seulement 29 ans. Son discours insolent à Monte-Carlo ne sera que le début d’une série de scandales, principalement dus à son comportement en-dehors du court. En 1998, il fera une sorte de remake du discours de Monte-Carlo. Après qu’il a atteint la place de numéro un mondial, le président du Chili l’invite dans son palais et lui demande s’il veut dire quelques mots à la foule venue l’acclamer : Rios décline l’invitation d’un simple « non ».
Alex Corretja grimpera jusqu’à la 12e place mondiale en 1997, remportant un troisième tournoi sur terre battue à Stuttgart. Il deviendra par la suite un sérieux prétendant au titre à Roland-Garros, un rêve qu’il touchera du doigt sans jamais le réaliser, battu en finale à deux reprises, par Moya en 1998 puis par Kuerten en 2001, et en demi-finales en 2002 par Albert Costa. Même s’il n’aura jamais de grands résultats dans les autres tournois du Grand Chelem (ne dépassant qu’une fois le stade des huitièmes de finale) et qu’il sera considéré comme un spécialiste de la terre battue, son plus grand résultat sera sa victoire indoor au Masters, en 1998. Ce grand titre lui permettra d’atteindre la deuxième place mondiale, son meilleur classement, en février 1999.