15 octobre 1972 : Le jour où les États-Unis de Stan Smith ont remporté la Coupe Davis contre la Roumanie accusée de tricherie
Dans un contexte tendu quelques mois à peine après la prise d’otages meurtrières des Jeux olympiques de Munich, Stan Smith et les Etats-Unis viennent à bout de la Roumanie de Ion Tiriac en finale de la Coupe Davis. Le 15 octobre 1972, Stan Smith a bataillé contre son adversaire… et les juges de ligne acquis à la cause roumaine.
Ce qu’il s’est passé ce jour-là : Une finale atypique et sous tension
Ce jour-là, le 15 octobre 1972, à Bucarest, Stan Smith parvient à faire abstraction des menaces terroristes, des juges de ligne ligués contre lui et de l’intox de Ion Tiriac, pour battre le Roumain (4-6, 6-2, 6-4, 2-6, 6-0) et sceller la victoire américaine en finale de la Coupe Davis. En raison du contexte politique et de son incroyable scénario, la rencontre entière est considérée comme l’un des moments les plus marquants de l’histoire de la compétition. C’est aussi la première année où la Coupe Davis se joue selon le nouveau format, après avoir abandonné le Challenge Round (où le tenant du titre était qualifié d’office pour la finale). Et c’est la première fois depuis 35 ans que la finale se déroule ailleurs qu’aux Etats-Unis ou en Australie.
Les acteurs : Stan Smith et Ion Tiriac
Stan Smith, l’enfant maladroit
Stan Smith est né en 1946 en Californie du Sud. Enfant, il se propose comme ramasseur de balles pour une rencontre de Coupe Davis mais il n’est pas retenu, les organisateurs le jugeant trop maladroit. Pourtant, quelques années plus tard, Smith représente l’Université de South California en championnat universitaire et en 1968, il se lance sur le circuit.
En septembre 1971, Smith a déjà gagné 11 tournois dont l’Open de Stockholm 1970 où il domine Arthur Ashe (5-7, 6-4, 6-4), le Masters de Tokyo 1970 où il bat Rod Laver (4-6, 6-3, 6-4), et le tournoi du Queen’s 1971 où il vient à bout de John Newcombe (8-6, 6-3). Trois semaines après son triomphe au Queen’s, Newcombe prend sa revanche sur Smith à l’occasion d’une finale très disputée à Wimbledon (6-3, 5-7, 2-6, 6-4, 6-4).
Quelques semaines plus tard, Stan Smith remporte son premier titre du Grand Chelem à Forest Hills en battant Jan Kodes en finale (3-6, 6-3, 6-2, 7-6). C’est la première fois qu’une finale de l’US Open se conclut par un tie-break, règle qui n’a été instaurée qu’en 1970. En 1972, il s’adjuge un deuxième titre majeur à Wimbledon en venant à bout d’Ilie Nastase (4-6, 6-3, 6-3, 4-6, 7-5). Aux yeux de beaucoup d’experts, il est alors le meilleur joueur au monde.
Ion Tiriac, le polyvalent
Ion Tiriac, qui s’est lui-même décrit un jour comme « le meilleur des joueurs à ne pas savoir jouer au tennis », est né en 1939. Né en Roumanie, plus précisément en Transylvanie, il est surnommé « le Bulldozer de Brasov » ou « le Comte Dracula ». Sportif accompli, il est d’abord un enfant prodige du tennis de table, puis membre de l’équipe de hockey sur glace qui représente la Roumanie aux Jeux Olympiques d’Hiver d’Innsbruck en 1964. Il se consacre ensuite au tennis, atteignant un niveau suffisant pour se hisser en quarts de finale de la première édition « Open » de Roland-Garros, en 1968. Opposé au grand Rod Laver, alors numéro 1 mondial, il frôle l’exploit mais finit par s’incliner, malgré une avance de deux sets à zéro (4-6, 4-6, 6-3, 6-3, 6-0).
Tiriac obtient plus de succès en double, généralement associé à son compatriote Ilie Nastase, avec qui ils parviennent deux fois en demi-finales de Roland-Garros (1968, 1969), avant d’y triompher en 1970 en battant en finale Arthur Ashe et Charlie Pasarell (6-4, 6-3, 6-2).
Le lieu : Le Club Sportiv Progresul de Bucarest
La finale de la Coupe Davis 1972 a lieu au Club Sportiv Progresul, à Bucarest. En 1972, la Roumanie est un pays communiste, mais, au cours des années précédentes, Nicolae Ceausescu a formé une prudente alliance avec les Etats-Unis. Le dictateur voit dans le sport une manière de promouvoir le nationalisme sans prendre trop de risques.
L’histoire : Smith contre Tiriac… et les juges de ligne
La finale de la Coupe Davis 1972 a lieu dans un contexte politique très particulier. Quelques semaines plus tôt, un groupe de terroristes palestiniens a attaqué l’équipe israélienne aux Jeux Olympiques de Munich, assassinant 11 athlètes dans leur chambre d’hôtel. La finale de la Coupe Davis est le premier grand événement sportif international à suivre, et, parmi les joueurs américains susceptibles de jouer, deux sont juifs (Harold Solomon et Brian Gottfried). L’équipe américaine est accueillie à l’aéroport par des soldats armés et tous les participants, même les joueurs roumains, sont confinés à l’hôtel lorsqu’ils ne jouent pas.
Pour couronner le tout, Dennis Ralston, capitaine de l’équipe américaine, a été averti par le capitaine australien Neale Fraser, dont l’équipe a perdu en Roumanie en demi-finale : « Vous ne pourrez pas gagner parce qu’ils ne vous le permettront pas. Vous n’avez aucune idée de ce qui vous attend. » D’après le New York Times, Fraser affirme que son équipe s’est fait “gruger comme jamais” par les juges de ligne.
La ville entière de Bucarest se passionne pour la finale de la Coupe Davis. Peut-être cette pression pèse-t-elle un peu trop sur les épaules d’Ilie Nastase, récent vainqueur de l’US Open, qui passe à côté du premier match. Il avait dit au public que la Roumanie était « favorite à 10 contre 1 » ; lorsqu’il s’incline face à Stan Smith (11-9, 6-2, 6-3), « des gens cherchaient la voiture de Nastase pour y mettre le feu », d’après son coéquipier Toma Ovici.
Lors du deuxième match, Tom Gorman se détache deux sets à zéro contre Ion Tiriac. “Le Comte Dracula” lui rend alors la vie impossible, entraînant avec lui le public et les juges de ligne pour s’imposer en cinq manches (4-6, 2-6, 6-4, 6-3, 6-2). Le juge-arbitre de la rencontre, l’Argentin Enrique Morea, dira plus tard qu’il n’avait jamais vu pareille tricherie auparavant, et que les juges de ligne voyaient « ce que voulait Tiriac ». Gorman fond en larmes à l’issue du match et le capitaine, Ralston, est amer. « Tiriac devrait être exclu à vie du tennis”, dit-il, d’après Sports Illustrated. « C’est le jour le plus honteux de l’histoire de la Coupe Davis. »
Néanmoins, le samedi, Smith, associé à Erik Van Dillen, démolissent Nastase et Tiriac, 6-2, 6-0, 6-3.
Le samedi 15 octobre, Smith affronte Tiriac pour essayer de conclure la rencontre, en sachant que s’il venait à perdre, Gorman, derrière, était loin d’être favori contre Nastase. La tension est donc à son comble.
Avant le match, le juge-arbitre prévient le capitaine américain qu’il vaudrait mieux ne pas jouer trop près des lignes pour éviter les annonces douteuses. Ainsi mis sous pression, Smith perd la première manche 6-4, mais parvient à remporter les deux suivantes, 6-2, 6-4, malgré quatre annonces douteuses consécutives en sa défaveur. Ralston parvient à convaincre le juge-arbitre de faire remplacer l’un des juges de ligne. Au quatrième set, Tiriac s’affranchit de toute limite, usant de son influence pour peser sur le corps arbitral. « J’ai eu deux mauvaises annonces dans le même point. », expliquera Smith. « A ce moment-là j’étais en train de devenir dingue. »
Faisant preuve d’une force mentale incroyable, le vainqueur de Wimbledon joue malgré tout un tennis de rêve au cinquième set, enchaînant les coups gagnants avec assez de marge pour éviter toute ambiguïté, et achève Tiriac 6-0. “J’ai vraiment perdu beaucoup de respect pour toi”, dit-il à son adversaire lors de la poignée de main.
La postérité du moment : Tiriac devient agent et Smith crée… des chaussures
La Roumanie n’atteindra plus jamais la finale de la Coupe Davis.
Smith remportera en tout 37 tournois au cours de sa carrière, et gagnera aussi cinq tournois majeurs en double, associé à Robert Lutz. Stan Smith demeurera célèbre plusieurs décennies après sa retraite en raison des célèbres chaussures Adidas portant son nom.
Une fois sa carrière de joueur terminée, Ion Tiriac deviendra un célèbre agent sportif (dans les années 1980, il découvrira et cornaquera notamment un jeune joueur allemand du nom de Boris Becker), et un homme d’affaires réputé. Ses investissements seront fructueux puisque Tiriac, devenu milliardaire, sera l’homme le plus riche de Roumanie. En 2013, interrogé par le New York Times au sujet de la finale de la Coupe Davis 1972, il se contentera de répondre, dans un email : « La Coupe Davis 1972, malheureusement, est simplement une autre finale que nous avons perdue. »