“Aider les autres devrait être une priorité” : Carla Suarez Navarro raconte sa mission bénévole à la banque alimentaire
Lors de la crise sanitaire, joueurs et joueuses ont contribué à leur manière à la lutte contre la pandémie. Carla Suarez Navarro a ainsi passé la moitié de ses journées à travailler bénévolement dans la banque alimentaire de sa ville de Las Palmas.
Joueurs et joueuses de tennis ont tendance à vivre dans une bulle. Mais lors de cette crise sanitaire, ils ont aussi prouvé qu’ils savaient en sortir à temps pour venir en aide à des populations dans le besoin. Carla Suarez Navarro a ainsi décidé de passer la moitié de ses journées à travailler bénévolement dans la banque alimentaire de sa ville de Las Palmas, commune des Iles Canaries. Elle partage son expérience à Tennis Majors.
L’Espagnole a ainsi rejoint les rangs de nombreux autres collègues qui ont tenu à donner de leur personne ou de leur compte en banque pendant la crise. De manière non exhaustive, il est possible de citer quelques exemples. Novak Djokovic et sa femme Jelena, via leur fondation, ont donné un million d’euros à la Serbie pour acheter des équipements médicaux, et une somme non communiquée aux hôpitaux de Lombardie en Italie. Roger Federer et sa femme Mirka, via leur fondation, ont fait don d’un million de dollars afin d’assurer les repas d’enfants en Afrique dont les écoles avaient fermé. Ils ont donné un million de plus en francs suisses pour subvenir aux besoins des familles les plus démunis de Suisse. Rafael Nadal a de son côté allié ses efforts à Pau Gasol pour lancer l’initiative #NuestraMejorVictoria pour la Croix Rouge dans l’espoir de récolter 11 millions d’euros pour son pays.
Aisam-ul-Haq Qureshi a financé et livré des colis alimentaires au Pakistan, alors que Grigor Dimitrov comme Simona Halep ont fait don de ventilateurs : lui pour sa ville natale de Haskovo en Bulgarie, et elle pour les villes de Bucarest et Constanta en Roumanie. Quant à Serena Williams, elle a décidé de donner 45 000 masques par jour aux communautés du sud de Los Angeles en Californie et à West Palm Beach en Floride. Sans oublier le joueur de double Kevin Krawietz, champion en titre à Roland-Garros, qui a fait des vacations dans un supermarché Lidl en Allemagne, tandis que son partenaire Andreas Mies livraient des fruits aux travailleurs essentiels et aux communautés dans le besoin.
Au milieu de toutes ces initiatives, Carla Suarez Navarro nous explique pourquoi elle a ressenti le besoin de faire elle aussi quelque chose afin d’aider et ce qu’elle a retiré de l’expérience. Elle se confie également sur le futur du tennis : un futur d’autant plus flou qu’elle avait initialement prévu de prendre sa retraite à la fin de la saison.
Quelle était la situation à Las Palmas pendant le confinement ?
A Las Palmas, la situation a toujours été un peu meilleure que dans le reste de l’Espagne. Comme on est sur une île et que le trafic aérien est restreint, très peu de gens ont pu venir ici à moins d’une raison majeure, comme le besoin de rentrer à la maison. Après quasiment 40 jours de confinement, nous avons pu de nouveau sortir selon certains créneaux afin de faire de l’exercice. On se sent soulagé après ça. Et là nous sommes autorisés à aller voir nos familles et nos amis à condition de ne pas se regrouper à plus de dix personnes. On sent bien le changement. Mais on essaie quand même de suivre toutes les recommandations sanitaires.
Pourquoi avez-vous décidé de rejoindre la banque alimentaire ?
Je savais que ça pouvait être un très bon moyen d’aider les gens dans le besoin. Je ne pouvais pas faire grand-chose en restant à la maison, à part faire passer des messages sur les réseaux sociaux ou faire des dons. Au fond de moi, je voulais vraiment être plus impliquée. Aider les autres devrait être une priorité pour tout le monde. Il y a beaucoup de familles qui traversent une période très difficile en ce moment, alors je me suis dit que c’était le moment de donner un coup de main. J’ai contacté la banque alimentaire de ma ville et je suis devenue une de leurs volontaires. Ils ont été très sympas de m’accepter dans leur équipe. On ressent une satisfaction personnelle à savoir que, lors d’une crise, il y a des façons de se rendre utile.
Quelles sont les tâches quotidiennes là-bas ?
Les permanences commencent à 9 heures. On nettoie et on range l’entrepôt de manière à ce que les véhicules et les travailleurs puissent opérer facilement à l’intérieur. Vers 9h30, nous recevons les commandes que nous devons préparer pour les ONG et les autres associations qui livrent la nourriture aux personnes dans le besoin. Il y a beaucoup de denrées à ranger, donc il faut être très méticuleux. Ensuite vers 12h45 nous avons terminé, mais avant de rentrer à la maison, on ramasse tous les cartons vides afin de laisser l’entrepôt propre et net. On travaille du lundi au vendredi sur des vacations de quatre heures (9-13h).
Suarez Navarro : “Je suis consciente de la valeur de ma vie privilégiée”
Quels sont les principaux enseignements que vous tirez de cette expérience ?
L’aide désintéressée existe. Il y a une immense solidarité entre les gens. Malgré la perte de leurs emplois, la priorité de beaucoup de gens a été de venir à l’entrepôt afin de rendre la situation moins insupportable pour des personnes en grand besoin. Je suis consciente de la valeur de ma vie privilégiée. C’est ce que je retiens de cette expérience.
Vous avez été bien intégrée par les volontaires ?
Ou, très gentiment. Peu importe le travail qu’on fait, peu importe notre popularité, les mains de tous sont là pour aider. Nous formons une super équipe et chaque minute passée là-bas fait une différence. C’est ça le principal. Tout le staff de Las Palmas est formé par des volontaires qui sont tous poussés par un désir d’aider les autres. Beaucoup de gens ont contribué par des dons, beaucoup ont acheté de la nourriture et nous l’ont amenée. Voir tous ces exemples de détresse, si proches de la maison, a vraiment poussé les gens à aider. C’est quelque chose de très important et de nécessaire dans notre société. J’ai travaillé à la banque alimentaire pendant six semaines. Mais vendredi je pars pour Barcelone, donc ce jeudi est mon dernier jour à la banque alimentaire. Je vais essayer de revenir y travailler à chaque fois que je reviens à Las Palmas. Peut-être même que je peux aussi aider dans une banque alimentaire de Barcelone.
Avez-vous réussi à vous entraîner pendant toutes ces semaines ?
J’ai fait un peu de physique à la maison. L’espace et le matériel étaient limités mais tout de même suffisant pour rester en forme. Une salle de gym du voisinage m’a prêté un vélo d’appartement, alors j’ai fait pas mal de sessions de spinning. Depuis le 11 mai, je suis autorisée à utiliser un court de tennis, alors je vais taper trois fois par semaine. La situation est désormais bien meilleure, entre la possibilité d’être sur le court et celle d’aller à la salle de gym à côté de la maison.
Suarez Navarro : “Je vais attendre de voir comment la situation évolue pour décider de mon avenir”
Si la saison reprend, pensez-vous que joueurs et joueuses retrouveront vite leur meilleur niveau, malgré toutes ces semaines sans jouer ?
Je pense qu’on a encore plein de temps pour retrouver la forme. Si la saison reprend, on aura finalement vécu quelque chose de similaire à une intersaison étendue, et puis la discipline et l’investissement des joueuses et des joueurs leur permettra de retrouver un très bon niveau. A condition que le circuit reprenne en 2020, ce qui me semble très difficile.
La situation est sans doute encore plus spéciale pour vous, puisque vous aviez prévu de prendre votre retraite à la fin de la saison. Où en êtes-vous de cette décision ?
Cela a été une décision très personnelle et mûrement réfléchie. Quand je regarde ma carrière, je me sens très fière. J’ai savouré cette aventure et vécu des moments magnifiques. Je suis sur le circuit depuis tant d’années et j’ai désormais juste envie d’expérimenter des choses différentes de la vie. Mais évidemment la situation a été difficile, en voyant tant de tournois annulés lors de ce qui devait être ma dernière saison. Cette pandémie mondiale a quelque chose d’irréel… En ce moment, le tennis n’est la priorité de personne, donc je vais attendre de voir comment la situation évolue dans les mois qui viennent pour décider de mon avenir.
Pensez-vous voir des changements sur le circuit après cette crise ?
Certains aspects vont changer, oui. C’est dur de dire spécifiquement quoi, parce que notre sport est spécial dans tant de domaines. Nous voyageons 11 mois par saison. On voit bien qu’en ce moment c’est impossible pour nous de reprendre. Avec toutes les quarantaines et autres restrictions, ça semble un peu compliqué. On dirait aussi que les foules telles qu’on les connaissait ne seront plus là pendant un moment. Peut-être que nous allons devoir éviter certains gestes qui étaient habituels avants : serrer la main à son adversaire, à l’arbitre, se faire amener les serviettes, tout ce qui concerne les ramasseurs de balle… On va devoir suivre l’avis des experts, ce sera le plus important.