« Bien d’avoir une aide extérieure » : Les joueurs ne sont plus isolés à l’UTS
Avec les interviews entre chaque quarts-temps et les temps morts posés par les entraîneurs, les joueurs de l’UTS ne sont plus seuls sur le court. Une aide qui peut se révéler précieuse.
La scène a de quoi faire sourire. Après le deuxième quart-temps de son match perdu contre David Goffin (3-1) pour le compte de la 6e journée de l’Ultimate Tennis Showdown, Elliot Benchetrit est interviewé, après le Belge, par les commentateurs de la compétition. Casque vissé sur la tête, micro planté devant les lèvres, le Français ironise après avoir laissé échapper le quart-temps : « Vous m’avez oublié ? Vous lui avez parlé 1 minute 20, vous lui avez donné trop de conseils ! Ce n’est pas juste. » Et le Niçois, qui remplace ce jour-là Dustin Brown blessé à la cheville droite, poursuit avec humour : « Après le quart-temps précédent, vous ne m’avez donné qu’une seule minute de conseils, c’est pour ça que j’ai perdu ! C’est de votre faute. »
Meanwhile, Karen… er… Elliot would like to speak to the manager 😅#UTShowdown | @elbenchetrit pic.twitter.com/Y0lhPt6qWM
— UTS | Ultimate Tennis Showdown (@UTShowdown) June 28, 2020
Si Benchetrit est d’humeur taquine, la séquence révèle surtout la manière dont les joueurs se sont pris au jeu des règles qui leur permettent d’interagir avec leur coach, lors des temps morts, et avec les commentateurs, entre chaque quarts-temps qui remplacent les traditionnels sets, à l’UTS. Lors de ces interviews diffusées en direct, les joueurs ne restent plus seuls sur leur banc, comme c’est l’habitude sur le circuit de l’ATP. Ils doivent désormais répondre aux questions de deux journalistes.
Après trois semaines de compétition, le joueurs en sont devenus demandeurs. Suite à sa défaite contre Richard Gasquet dimanche (3-1), le joueur français Corentin Moutet alpague Pete Odgers, le journaliste anglais qui interroge les joueurs entre les quarts-temps avec Jenny Drummond, co-commentatrice écossaise. « Tu m’as vraiment beaucoup aidé !, lui lance le Francilien sur la terrasse de le Mouratoglou Tennis Academy, qui surplombe le court central. C’était vraiment bien de pouvoir te parler pendant le match, d’avoir des conseils, et de pouvoir libérer mes émotions… »
Plus tard, le 75e mondial assure à Tennis Majors que, pendant ce match, il s’était senti « nerveux». « C’était donc bien d’avoir une aide extérieure. Parfois, je me sens isolé sur le court. » Elliot Benchetrit parle lui d’une “réflexion sur nous-mêmes pendant les interviews”.
Même les meilleurs mondiaux apprécient cette nouvelle interaction. Stefanos Tsitsipas le premier. Samedi, alors qu’il est mené deux quarts-temps à un contre Feliciano Lopez, le sixième mondial empoche la troisième manche pour accomplir la première partie de son come-back victorieux. Il savoure alors au micro des journalistes le fait de « ne pas avoir à rester seul sur mon banc, comme pendant les matches de l’ATP Tour ! »
– « Est-ce qu’on peut venir avec vous sur les matches de l’ATP Tour (pour faire des interviews entre les jeux) ?», demande alors Pete Odgers.
– « Accompagnez-moi, s’il vous plait !, leur répond le numéro 6 mondial. Ce serait une bonne idée de mettre ça en place lors de l’ATP Tour ! »
Tsitsipas remportera le match à la mort-subite (3-2), après un retour encore jamais réalisé dans la compétition.
Abakar, co-coach de Tsitsipas : « Je lui ai demandé de ne pas avoir peur de dire des conneries »
Le lendemain, séquence surréaliste avec le même joueur. Au sortir du deuxième quart-temps de sa victoire facile contre Alexei Popyrin (3-1), The Greek God pense rendre hommage à Justin Timberlake et se met à chanter un extrait du titre Apologize, de One Republic et Timbaland.
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« Je lui ai demandé de ne pas avoir peur de dire des conneries !, plaisante Kerei Abakar, le co-entraîneur de Tsitsipas. Il est détendu avec eux, il est naturel, c’est le vrai Stefanos Tsitsipas ! ». Abakar ne tarit pas d’éloges au sujet des commentateurs, des « vraies personnalités qui mettent à l’aise les joueurs. »
Les commentateurs, Jenny Drummond et Pete Odgers, sont devenus des acteurs du match à part entière. Conseils tennistiques, humour, calinothérapie : les deux journalistes prennent leur rôle à coeur. « Même si vous perdez un quart-temps, vous parlez aux commentateurs, vous faites une blague, et vous êtes ensuite plus détendu pour repartir », nous explique David Goffin, le numéro 10 mondial.
La tâche n’est pour autant pas si simple pour la paire de commentateurs, qui doit interroger les joueurs en plein coeur de l’effort. « Le plus intéressant est de découvrir la face cachée des joueurs, souligne Jenny Drummond, après une partie de tennis sous la chaleur du Sud. Dimanche soir, Tsitsipas était hilarant ! Personne ne l’avait jamais vu comme ça auparavant, en train de chanter. On découvre la personnalité de tout le monde, même d’un numéro 6 mondial. »
La journaliste estime que les interviews entre les quarts-temps permettent d’« échapper aux discours formatés des joueurs». «D’habitude, poursuit-elle, quand vous interviewez des joueurs, c’est soit après le match, soit en conférence de presse. Les joueurs savent parfaitement ce qu’ils vont dire. Là, grâce aux émotions sur le court, vous captez une réaction que vous n’obtenez jamais. » Plusieurs joueurs ont réussi à se remettre dans leur match après les interviews entre les quarts-temps. A l’image du week-end dernier. Tsitsipas réussissait à revenir contre Feliciano Lopez (3-2), Goffin venait à bout de Benchetrit après avoir perdu le premier quart-temps (3-1), avant que Lopez ne réalise la même chose face à Benoît Paire (3-1), profitant aussi des errements du Français.
Les commentateurs ne sont pas les seuls acteurs qui prennent davantage de place grâce à l’UTS. Les entraîneurs sont dans le même cas. Ils peuvent poser un temps mort à chaque quart-temps de dix minutes. Grâce aux casques et micros, les téléspectateurs captent ces échanges.
Wolfgang Thiem apprécie particulièrement le concept et a utilisé quasiment tous les temps morts à sa disposition depuis le début du tournoi. Contre Goffin samedi, le père et entraîneur de Dominic conseille ainsi à son fils de « servir fort et de monter au filet ». Une manière de concrétiser la carte UTS qui multiplie un point par trois en cas de coup gagnant. Les ordres appliqués à la lettre, le numéro 3 mondial empoche trois points, dans la foulée. L’Autrichien, qui monte en puissance dans cet UTS, est parvenu à faire chuter Goffin (3-1).
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Brown : « Entrer dans le cerveau des joueurs »
Goffin et son entraîneur Thomas Johansson sont aussi adeptes de ces “coaching timeout”. « Quand vous êtes sous pression, un peu stressé, c’est bien de pouvoir parler à votre entraîneur, appuie Goffin. Sur le point d’après, vous allez vous sentir plus détendu. »
Le Belge prend en exemple sa victoire de dimanche contre Benchetrit (3-1). « Lors d’un temps mort, mon coach m’a redonné confiance suite au premier quart-temps que j’avais perdu, décrit Goffin à Tennis Majors. Il m’a indiqué dans quelle zone je devais frapper pour lui faire mal. Et les trois points suivants ont été parfaits. »
Ces dispositifs permettent « aux téléspectateurs de pouvoir entrer dans le cerveau des joueurs », selon le joueur allemand d’origine jamaïcaine Dustin Brown. Il y voit surtout une expérience « destinée aux fans », qui peuvent « réussir à comprendre le travail qu’un joueur fait sur lui-même. » Mais lui estime que ça ne fait aucune différence sur le terrain. « Que je dise ce que je pense ou que je le garde dans ma tête, ça ne change rien pour moi. » Mais cela change tout pour le spectacle.
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